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 De l'art de rentrer en grâces et en liquidités (Vincent)


De l'art de rentrer en grâces et en liquidités (Vincent) EmptySam 12 Sep - 14:25

D’un geste rapide et assuré, Auguste fit glisser entre ses doigts le ruban fin de tissu blanc et le noua soigneusement autour de son cou. Les pans soyeux retombèrent sur son gilet. Cette touche finale apportée à l’ensemble, le vidame jeta un œil critique à son reflet dans le miroir, eut une mimique satisfaite, glissa quelques menues affaires dans ses poches –le strict minimum, à charge pour Vincent de penser à sa place au reste-, glissa un regard rapide sur sa montre, puis se dirigea vers le quartier des domestiques et la chambre de Vincent, qui à cette heure matinale, dormait encore comme un bienheureux. Le domestique avait pris l’habitude de s’accorder un peu, voire beaucoup de repos les dimanches matins –Villiers se plaisant assez, par pure et futile provocation, à employer cette matinée-là à récupérer des excès de la veille, voire de la semaine, tandis que d’autres se préparaient pour l’office dominical, auquel lorsqu’il s’y rendait il mettait un point d’honneur à arriver ostensiblement en retard. Il éprouvait un certain plaisir à voir tous les visages se retourner et les expressions des bigotes et autres dévôts se courroucer ou afficher un certain mépris, voire un mépris certain. Le tout, bien sûr, à la grande honte de Vincent –la pauvre valet suivant tout penaud, mais sans jamais se risquer à faire une réflexion –il avait compris l’inutilité de la chose.

Auguste s’arrêta devant la petite porte de bois, peinte en blanc, de la chambre de Vincent, et, ne se donnant même pas la peine de frapper –pourquoi se fatiguer, le valet, une fois endormi, devenait approximativement aussi sourd qu’un pot en terre, et le faire revenir des limbes profondes de son sommeil s’avérait souvent relever de la croisade ; autant donc mettre dès l’abord toutes les chances de son côté, et puis, après tout, le concept de respect de la vie privée de Mondor était à peu près inconnu à son maître- fit tourner la poignée. La pièce était plongée dans la pénombre, et l’odeur des pièces qui n’ont pas été ouvertes ni aérées depuis la veille, une odeur riche de repos et de chaleur humaine, y régnait maîtresse. On n’entendait que le souffle profond, régulier, presque un ronflement, de Mondor dont la silhouette émergeait plus ou moins entre les draps dont la blancheur mettait une tache grisâtre dans la demi-obscurité. Il alla droit à la fenêtre, ouvrant tout grand les battants de bois qui abritaient la pièce de la lumière du jour, et laissant de fait l’air frais de ce début d’automne pénétrer dans la chambre. Il pivota sur ses talons, considéra un instant la forme maugréante de Vincent qui essayait désespérément d’échapper au réveil par de molles protestations et l’enfouissement stratégique sous ses couvertures. Secouant la tête, vaguement désespéré, il alla jusqu’au lit et arracha ladite couverture.

« Debout, fainéant ! Tu m’entends, Vincent ? Debout, tout de suite, nous allons être en retard. »

Il s’éloigna, fit quelques pas dans la pièce, de droite et de gauche. Une idée commençait à lui venir, qu’il trouvait fort à son goût. Elevant la voix d’un ton un peu trop solennel, tournant soigneusement le dos à Vincent pour lui masquer le fin sourire qui lui était monté aux lèvres, il lança :

« Dépêche-toi donc, mécréant… L’office est à dix heures. Et cesse donc de me regarder avec ces yeux ronds ! On croirait que je viens de t’annoncer que nous partions pour la Lune. Non, je ne me moque pas de toi. Et non, je ne fais pas cela pour le simple plaisir de te réveiller de bon matin."

Auguste se retourna, non sans s’être auparavant soigneusement composé une figure extatique –les yeux brillants, mais plutôt à cause du tour qu’il concoctait qu’autre chose, un sourire béat sur les lèvres, les mains remontées, nouées, à hauteur de son cou, dans un geste passionné, tout le corps tendu en avant, le regard fixé au ciel sur les poutres de bois du plafond.

« Si tu savais, Vincent ! J’ai eu une révélation, une vision. J’ai compris. Finalement tu n’avais pas tort. Il y a bien quelque chose… Oh, si tu l’avais vue ! Comme Elle était belle, avec ces voiles nacrés qui volaient tout autour d’elle sans que le moindre vent ne les agite, avec son visage si calme, si serein, si bienveillant, et irradié de lumière ! Et ses yeux profonds et brillants ! Et comme Elle était grande, imposante mais rassurante tout à la fois, et cet amour qui rayonnait tout autour d’elle ! Sa voix était terrible. Mais elle avait un moelleux, une souplesse… On la devinait toute prête au pardon…. »

Auguste se concentra désespérément, mais aucun autre détail de la Vierge baroque de la chapelle paroissiale ne lui revenant, il décida de ne pas pousser plus loin, et brisa là sa tirade sur une dernière variation de vois destinée à faire ressentir l’intensité de son émotion –connaissant Vincent, la description succincte suffirait amplement. La farce était vraiment grossière, mais le valet –surtout au saut du lit, de si bon matin, - était peut-être capable de donner dans le panneau, auquel cas il en entendrait parler pendant des semaines, car le piège était si ridiculement invraisemblable et farfelu que Villiers lui-même l’avait tendu sans aucun espoir de réussite –avec simplement celui de s’amuser un peu en singeant le vocabulaire des mystiques qui avaient tant de succès pour peu qu’elles parviennent à prendre de ces poses d’extase béate et bienheureuse, et que leur imagination leur permette de visualiser suffisamment précisément les apparitions qui étaient leur gagne-pain.

Il se laissa tomber assis sur le lit, les yeux toujours noyés dans le vague des linteaux et du plâtre grisâtre, s’efforçant de fixer son regard sur un point flou et lointain, comme transperçant ces couches épaisses de matière architecturale. Il soupira profondément, resta encore un instant perdu dans ce qui paraissait être le souvenir ému de cette vision mystique. Puis brusquement, il se retourna vers le valet, un rictus ironique planté sur son visage –le pauvre avait l’air de ne plus trop savoir où il en était, ce qui n’était pas trop étonnant, perdu au milieu de ses draps.

« Allons, assez plaisanté. Il est temps de faire repentance, ma bourse est vide et les créanciers s’agitent –habille-toi, nous allons être exemplaires aujourd’hui. Il faut que la rémission soit complète. Il s’agit de singer l’humilité et le regret…. Epargne-moi tes remarques moralisatrices, la survie des tes gages en dépend, et puis monsieur Molière nous a d’ores et déjà excusés, puisque l’hypocrisie est un vice à la mode, et que tous les vices à la mode passent pour vertus… »


Il se releva d’un coup, le rire aux lèvres. La perspective d’un office n’avait rien de particulièrement réjouissant, pourtant. Les sermons interminables et moralisateurs ne lui attiraient jamais que des sourires méprisants –et surtout les belles attitudes pieuses des assistants, qui auraient en sortant tôt fait de les oublier. Au fond, la seule chose qui le différenciait de tous ces faux dévôts, c’était son honnêteté ; lui au moins, ne faisait pas trop semblant d’écouter les paroles du prêtre… Au fond, il était bien préférable de suivre son exemple que le leur. Ce que, curieusement, le commun des mortels s’obstinait à ne pas vouloir comprendre…

« Bon. Je te donne dix minutes. Tâche de ne pas dépasser. Je veux absolument être là-bas avant mon père. De là dépend l’essentiel de la réussite de mon dessein, et je t’assure que je t’en voudrais beaucoup de m’obliger à remettre la chose à la semaine prochaine…. »

Le ton s'était fait tranchant, ne laissant aucune prise à la discussion, et sur ces paroles, le vidame ressortit, s’épargnant ainsi les probables remarques du valet –quelles qu’elles puissent être, elles n’auraient jamais été qu’une perte de temps.
Spoiler:
Auguste de Villiers
Auguste de Villiers
Bouche de miel, cœur de fiel Bouche de miel, cœur de fiel
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De l'art de rentrer en grâces et en liquidités (Vincent) EmptyMer 11 Nov - 10:32

Nous étions dimanche matin. Vincent Mondor, comme à son habitude de tout les dimanches matins, dormait, rattrapant ainsi les nuits blanches, les réveils matinaux et autres manques de repos.
Dans sa chambre de domestique, Vincent était étalé de tout son long sur le lit, dans une position quasi acrobatique mais pourtant grotesque, dont on doutait du confort, avec un léger filet de bave au coin des lèvres, les yeux fermés, bercé par son propre ronflement qui pourtant aurait réveillé même un vieux sourd enterré à mille pieds sous terre. Il était vêtu d'une chemise de nuit défraîchie mise à l'envers et et d'un bonnet de nuit tombant sur les yeux. Enfin n'oublions pas une coiffure improvisée par son oreiller, une haleine de cheval et une barbe naissante lui donnant déjà un air hirsute.

Cette ensemble harmonieux mais surtout comique sous bien des aspects fut brisée lorsqu'un intrus qui s'était glissé en toute discrétion dans la pièce, ouvrit au grand les rideaux, augmentant violemment la luminosité des lieux.  Vincent ouvrit alors un œil jaune encore de sommeil. Son ronflement avait cessé pour laisser place à un grognement dont on doutait l'humanité. Il gratta son menton mal rasé, et rabattit aussitôt son oreiller sur sa tête, grognant un nouvelle fois. Il tenait à rattraper ses heures de sommeil perdues, quoiqu'il en coûte.
Le responsable de ce réveil brutal parla. Vincent reconnut au son grave que c'était un homme, au vocabulaire que c'était un noble et enfin au ton autoritaire que c'était son maître.
Bien qu'il peina à écouter ce que ce dernier lui disait, le valet put saisir les mots suivants : « debout», « retard », « office » ...  Ce dernier mot ne tarda pas à éveiller la curiosité de Vincent. Il sortit sa tête de l'oreiller et parvint à balbutier d'un voix éraillée :

- Pa … Pardon ?

Son maître se tourna vers lui, laissant voir son visage rêveur, serein et calme. Il prononça alors un long monologue ponctué de soupir inspiré. Il parlait d'une femme …

« Ah non ! Me dites pas qu'il s'est trouvé une nouvelle demoiselle à courir après ! A l'église de surcroît ! » implora silencieusement l'alité. Mais il ne tarda pas à comprendre qu'il ne s'agissait, non pas d'une nouvelle conquête du Vidame, mais la Vierge Marie. Vincent se releva d'un coup sur se genoux, bien sûr surpris par le nouveau discours d'Auguste de Villiers mais aussi honteux de sa méprise. Ses yeux étaient à présent tout écarquillés, exprimant une incompréhension totale et une interrogation flagrante. Il ne tarda pas à le faire savoir :

- Que s'est-il passé pour qu'ait lieu un tel changement ? Monsieur aurait-il de la température ?

Mais point de fièvre du tout ! Le jeune maître avait été touché par la grâce divine … Il avait à présent terminé sa description de la Sainte Marie et s'était assis sur le lit de Vincent. Son regard semblait pris dans l'horizon lointain des songes. Sa foi était sans nul doute possible !Vincent joignit les mains et leva les yeux vers le ciel et remercia intérieurement Dieu pour ce miracle qui ne pouvait être autrement que divin.

Mais alors que Vincent murmurait sa prière, le vidame se tourna vers lui, avec un sourire mesquin sur les lèvres, comme celui d'un acteur heureux d'avoir bien joué son rôle. Le valet comprit alors que tout cela n'était que comédie et sentit son sourire descendre d'un demi-pouce. Ses mains jointes tombèrent le long de son corps et ses épaules s'affaissèrent. Son maître ravi d'avoir dupé une énième fois son domestique, partit, ordonnant de se préparer rapidement pour neuf heures. Vincent s'indigna contre son maître de cette hypocrisie envers Dieu, envers les siens, envers lui et …

« BOUM ! »

Emmêlé dans ses draps et gesticulant trop, Vincent avait fini par tomber au sol, face à terre. Sa chute fut accompagné d'un cri presque féminin et l'atterrissage se fit sur un juron digne des plus grands charretiers. Le silence était alors revenu dans la chambre et le soleil commençait à poindre ses rayons vermeils.

Une demi-heure plus tard, Vincent arriva, le souffle court dans l'antichambre avec des habits du dimanche bien propres, des cheveux disciplinés par un peigne mouillé, les joues rouges et rasées avec quelques coupures et une odeur d'eau de Cologne trop forte pour être de qualité. Auguste l'attendait, assis dans un fauteuil, dans une posture désinvolte. Lorsque son regard se posa sur son domestique, il se leva avec lenteur. Entre deux respirations haletantes, Vincent parvenait à marmonner :

- Me voilà … Monsieur …

Il expira dans un bruit bizarre, semblable à celui que ferai un vieil asthmatique mourant. Après cinq bonnes minutes, il parvint à reprendre à une respiration digne de ce nom et put ouvrir la porte à son maître afin que ce dernier puisse quitter les lieux.

Spoiler :
Vincent Mondor
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Le ridicule ne tue pas... Heureusement !Le ridicule ne tue pas... Heureusement !
Titre/Métier : Valet d'Auguste de Villiers
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Situation : Célibataire

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De l'art de rentrer en grâces et en liquidités (Vincent) EmptyDim 6 Déc - 13:40

Si Auguste était, par nature, sceptique, et s’il aimait à voir démontrer ce en quoi il plaçait sa foi, Vincent, tout au contraire, accordait presque moins de crédit aux discours des gens instruits, et qui par conséquent maîtrisaient leur sujet autant que faire se peut, qu’aux récits de miracles et autres merveilles provoquées par l’action du Saint-Esprit ou d’un quelconque de ses satellites. Après tout, il était sans doute parfaitement rationnel, tout bien considéré, de placer sa foi dans une foi capable de déplacer des montagnes et, qui peut le plus pouvant le moins, de ressusciter Lazare ou de guider Jeanne d’Arc qu’en des faits concrets et solides… Toujours est-il que cet état de fait permit à la fable d’Auguste, toute grossière et peu crédible qu’elle fût, de trouver en Vincent un auditeur très réceptif. Voir le valet se réjouir de sa conversion, et prouver par là-même une crédulité qui s’approchait, Auguste était bien forcé de se l’avouer, de la naïveté, voire même de la stupidité, était particulièrement amusant. Bien sûr, on pouvait toujours essayer de l’excuser en mettant sur le compte du réveil pénible et brutal, à une heure encore matinale par rapport aux habitudes du valet (ou du moins aux habitudes que lui supposait son maître, lequel ne pouvait guère le savoir, n’ayant pas pour usage de le précéder au réveil) ; mais même alors !

Dans le couloir, un bruit sourd le fit se retourner. Les grognements presque animaux et les jurons qui suivirent lui tirèrent un sourire, Vincent avait fini par se lever, et avec un peu de chance, serait même prêt à l’heure. Quoique… Avec lui, on ne pouvait jamais être sûr, d’où la marge de quelques dix minutes que s’était accordé son maître sur les dix autres qu’il avait accordé à son valet. Et il va sans dire que Mondor avait intérêt à ne pas dépasser cette limite de temps, car Auguste avait peu de patience. Il remonta, prit sur son bureau le premier livre qu’il y trouva et s’assit dans un des fauteuils de l’antichambre, puis commença à faire tourner les pages en y jetant à peine un coup d’œil distrait de temps à autre. Il n’avait pas eu la main heureuse, et l’ouvrage était d’un ennui terrible. Il finit par le laisser tomber à ses pieds, étouffant un baîllement, et jeta un coup d’œil agacé à sa montre. Cela faisait déjà plus d’un quart d’heure qu’il attendait Vincent, à présent. Il se cala confortablement dans le siège, et commença à faire tourner sa montre au bout de sa chaîne, impatienté. Vincent allait les mettre en retard, et pour quoi ? Quelque coquetterie mal placée sans doute. Comme si qui que ce soit prêterait attention à lui !...

Enfin, des pas précipités dans le couloir, et le bruit d’une respiration précipitée, haletante, incroyablement bruyante –nécessairement celle du valet, car personne dans toute la maisonnée n’aurait pu produire tant de bruit et surtout tant de sons insolites, surprenants venant d’un si petit personnage. Auguste à nouveau jeta un rapide regard aux aiguilles de la petite mécanique ronde. Une demi-heure. Soit, vingt minutes de retard par rapport à l’ordre donné, et dix minutes encore par rapport à sa marge de sécurité. Il exagérait vraiment. Et tout cela pour quoi ? Redressant les yeux vers Vincent, il constata que, comme il s’y attendait, ce dernier avait cherché à se rendre présentable, voire même agréable à la vue…. Au regard su résultat, il aurait pu  s’abstenir, et au moins aurait-il été dans les temps. Auguste nota les joues encore un peu râpeuses à cause du rasage trop rapide, les coupures rouges qui marquaient des lignes disgracieuses près de sa mâchoire, les cheveux séparés par l’eau à l’aide de laquelle il avait cherché à les discipliner. Ajoutés à cela, les vêtements propres apportaient une touche de crédibilité à l’ensemble, que venait contredire l’odeur tenace d’eau de Cologne. Il avait au moins renversé le flacon ! A moitié suffoqué, ou du moins bien décidé à paraître comme tel, Auguste posa son mouchoir sur son nez.

« Eh bien, c’est cela que tu appelles dix minutes ? Quel besoin avais-tu de prendre un bain de parfum et de te scarifier le visage ? Nous allons à la messe, pas à la Cour ! Ce n’est pas notre apparence mais notre présence que l’on doit notifier…. »


Il se pencha, ramassa sa montre sur le siège, se retourna vers le piteux valet, puis ramassa son chapeau à larges bords et à plumes sur la commode. Il n’était plus temps de traîner, déjà on entendait les préparatifs du comte qui n’allait pas tarder à s’en aller aussi –car monsieur n’était jamais en retard aux célébrations, lui.

« … Si tant est qu’on notifie la tienne, d’ailleurs. Plus le temps de traîner, maintenant, il va falloir forcer un peu l’allure ! »


Sans un remerciement, il franchit la porte que lui tenait ouverte Vincent et dévala l’escalier principal, ne s’occupant pas de savoir si le valet suivait ou non. Un instant plus tard, ils étaient dans la rue, assez agitée malgré l’heure assez matinale, car tout le monde ne pouvait pas s’offrir le luxe de passer ses journées à ne rien faire. Vincent trottant sur ses talons, Auguste allongea le pas, décidé à rattraper son retard, évitant les flaques et autres résidus poisseux non identifiables entre les pavés. Il régnait dans les rues de Paris une odeur assez caractéristique et indescriptible, que l’on ne pouvait trouver agréable, mais qui cependant était à ce point spécifique à la ville, qu’après s’y être habitué on pouvait même en venir à la regretter, et qui ne faisait guère froncer le nez qu’aux étrangers, et des cris résonnaient de ça de là, interjections joyeuses dans lesquelles on pouvait discerner des traces d’un argot spécifique presque à chaque quartier, et à chaque corporation, langue aux ramifications infinies.

Malgré une ou deux hésitations, le chemin ne lui étant pas particulièrement habituel, le vidame s’orientait avec une certaine assurance dans les rues (qui pouvaient vite, pour les non-parisiens, devenir labyrinthiques) du quartier. L’église paroissiale n’était pas particulièrement éloignée de la demeure familiale, mais il y avait quand même quelques carrefours à traverser. Sur le parvis, les premiers arrivants se saluaient, parlaient poliment, échangeant quelques phrases convenues avant de pénétrer dans l’édifice où ils tâchaient d’avoir l’air un peu plus respectueux et silencieux. Auguste se retourna pour attendre Vincent un court instant, le vit derrière lui, un rien essoufflé, -pour un peu il l’aurait plaint- puis monta les quelques marches qui menaient au parvis. Il salua avec beaucoup de déférence l’homme d’âge mur, vêtu avec une élégance parfaitement dénuée de sobriété, qu’il savait être un ami de son père. La paroisse, située dans un quartier assez aisé, en comptait de toutes façons un certain nombre, qu’il lui faudrait veiller à distinguer sans trop d’ostentation –il ne s’agissait pas non plus de faire croire qu’il s’agissait de provocation, une attitude qui n’aiderait pas beaucoup à arranger sa situation financière.

A l’intérieur, un bourdonnement étouffé de conversations à mi-voix grondait sous les arcades. Les voûtes semblaient emprisonner ces voix sourdes, créant une bulle de résonance. Auguste rejoignit le banc dévolu à sa famille, réfléchit un instant, puis fit demi-tour et alla en chercher un autre –un peu plus loin, mais il va sans dire qu’il avait pris grand soin de le chosiir de telle sorte que son père ne puisse pas ne pas le voir, tout en restant suffisamment à l’écart pour que sa position ne paraisse pas trop stratégique à première vue. Ce délicat calcul effectué, il ôta son chapeau –ce qu’en théorie il aurait dû faire dès son entrée dans l’église, mais il avait oublié- et le posa à côté de lui, puis s’agenouilla sur le prie-dieu et posa son front sur ses mains jointes, de manière à pouvoir glisser un œil discrètement de droite et de gauche sans qu’on puisse le voir. D’extérieur pourtant, il paraissait absorbé dans quelque prière ou réflexion pieuse. Vincent aurait sans doute appelé cela une insupportable hypocrisie, mais il n’était sans doute pas le seul à l’appliquer.

Du coin de l’œil, il constata l’arrivée de sa mère au bras de son époux, tous deux plongés dans une discussion qui paraissait assez prenante avec une autre des connaissances de la famille –un ancien officier qui avait gardé de ses années de garnison un maintien parfait et un ton autoritaire en certaines occasions, mais aussi une affabilité naturelle en usage entre les officiers de son rang. Tous les éléments ainsi mis en place, il n’y avait plus qu’à attendre que commence la célébration.

"C'est parfait
, murmura-t-il à l'adresse de Vincent assis à ses côtés, non seulement ton retard n'aura pas trop de conséquences, sinon celle de nous épargner un peu d'attente avant le début de la messe, mais tout se passe comme prévu. Nous n'avons plus qu'à faire preuve d'un peu de patience et d'endurance jusqu'à la fin, et puis ensuite les négociations... Ce sera facile, bien sûr. Il n'a envie que d'être persuadé. Et s'il n'est pas encore suffisamment touché ce soir, eh bien nous recommencerons la semaine prochaine... Il cédera bien un jour."

Le résumé s'adressait plus à lui-même qu'au valet, mais peut-être celui-ci serait-il heureux d'apprendre qu'il restait une chance que son sommeil ne soit pas compromis la semaine suivante.
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Auguste de Villiers
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