Hiver 1656, Paris.Les de Pérobé ont posé pied à terre et sont allés chez les grands-parents maternels des enfants.
La mère est enceinte pour la cinquième fois: elle a déjà eu Camille Nicolas, en 1639, Stéphane Sophie, en 1641, puis les triplées, Nathanaëlle Lucy, Gaëlle Françoise et Gabrielle Isabeau, en 1642, et, en 1646, elle avait donné naissance à Louiziane Cinna. En donnant naissance à son dernier fils, elle avait espéré ne plus être enceinte, six enfants, ça fait beaucoup. Et puis, printemps 1656, elle s'était de nouveau retrouvée enceinte. Cette fois, elle se le jura, se sera la dernière fois. Se qu'elle ne savait pas, c'est que se sera vraiment la dernière fois: l'accouchement se fit chez ses parents mais ni elle ne le bébé ne survécurent. Ce jour-là, Louiziane cru que toute sa vie s'écroulait.
1er février 1656
Camille et Mère m’ont offert ce cahier, pour mes dix ans.
Mère dit que ça me ferait du bien, d’écrire. Ecrire quoi ? Ma vie ? Qu’est-ce qu’un cahier pourrait bien avoir quelque chose à faire de ma vie ? J’ai tout de même remercié mon frère et ma mère.
Père, comme à son habitude, ne m’a rien offert, ne m’a même pas souhaité un joyeux anniversaire et ne m’a même pas lancé un regard. Je crois que quand Mère est arrivée avec le gâteau, au dîner, et que tout l’équipage c’est mis à chanter « joyeux anniversaire », il n’a pas compris que c’était pour moi ! Je crois qu’il n’a pas compris non plus pourquoi est-ce que l’on m’offrait des cadeaux. Qu’avais-je fait, moi, le garçon bagarreur qu’il détestait temps et qui n’arrivait pas à la cheville de son grand frère, pour mériter de recevoir des cadeaux, même si c’était le jour de mon anniversaire ? Il ne disait rien, il restait à l’écart, mais je savais bien se qu’il pensait et si Mère n’était pas là, je crois que, toutes ses années, il n’aurait pas hésité une seule seconde à jeter mes cadeaux par-dessus bord et à virer les membres de l’équipage qui me donnaient des cadeaux. L’équipage le savait très bien et il profitait de la protection de ma mère.
Finalement, si Mère veut que je fasse de ce cahier un journal intime, très bien !
Donc, pour commencer, même si je pense bien que le cahier sans contre fiche royalement, je vais me présenter : je m’appelle Louiziane Cinna de Pérobé et je fête mes dix ans aujourd’hui.
J’ai un grand frère, Camille Nicolas, et quatre grandes sœurs, Stéphane Sophie, Nathanaëlle Lucy, Gaëlle Françoise et Gabrielle Isabeau.
Que personne ne me demande où mes parents sont allés pêcher tous ces prénoms, je n’en sais rien : ils ont dû se ramasser une porte, un matin où ils étaient mal réveillés ou trop boire ; c’était peut-être un pari stupide avec des amis ou alors Père s’est trompé, en allant faire nos certificats de naissance, à la mairie, ou alors, pour Stéphane, il s’attendait à avoir un garçon, et pour moi, il s’attendait à avoir une fille ! Enfin bref… Père et Mère nous expliqueront peut-être, un jour.
Ma mère s’appelle Sybille, elle a trente-cinq, et est la fille d’un notaire et d’une femme au foyer Français. Elle a grandi à Paris et la première fois qu’elle quittait la capitale, c’était pour suivre mon père : elle avait dix-huit ans, était mariée depuis quelques mois et était enceinte.
Mon père, lui, s’appelle Malik, il a quarante ans, et est le fils d’un marchand Maghrébin et d’une fille de soldat d’origine Française. La famille de son père a toujours été une famille marchande qui a toujours beaucoup voyagé, il a donc continué sur cette lancé, une fois devenu adulte, nous entraînant, nous, sa famille, dans ses voyages. Il a toujours préféré mon frère à moi, très certainement parce qu’il est plus sage, plus obéissant, plus facile à amadouer, moins bagarreur, que moi !
Heureusement que Mère est là et qu’elle nous aime tous de la même façon, de Camille à moi, en passant par les triplées.
La famille de mon père est une famille marchande. Ils sont marchands de père et fils et Père a bien l’intention de faire de Camille son successeur. Mon frère n’en a aucunes envies mais il n’osera jamais s’opposer à notre père, il a trop peur des représailles pour ça. Je crois que c’est aussi pour ça que Père le préfère à moi…
Des pas, dans le couloir…
Louiziane ferme précipitamment son cahier, remet son bouchon à l’encrier, éteint la lampe à huile, bondit dans son lit et rabattit la couverture sur sa tête.
Dans le couloir, c’est son père qui fait une ronde et il sait que ça risque de mal se passer pour lui si il se fait prendre éveiller, en train d’écrire, à une heure aussi tard de la nuit.
25 juin 1657
Comme tous les ans, on est retourné à Paris, pour les fêtes de fin d’année. Père a accordé un congé de deux semaines à tout l’équipage, comme il le fait tous les ans mais je crois que cette année, le congé durera plus longtemps !
Nous avons débarqués en France le 20 décembre.
Les parents de Mère étaient heureux de nous revoir. Il n’y a pas de mots pour décrire la joie que l’on peut lire dans leurs yeux, lorsque l’on sonne à leur porte et qu’ils viennent nous ouvrir !
Mère était enceinte jusqu’aux dents et allait accoucher d’ici peut ; ce qui a doublé la joie de mes grands-parents. Joie qui s’est très vite transformée en tristesse : Mère a eu des contractions quatre jours après notre arrivée – soit le 24 – et malgré toute la bonne volonté de la sage-femme et du médecin, ni Mère, ni le bébé, n’ont survécu. La mise en terre s’est faite moins d’une semaine après, malgré les fêtes, et, au lieu des deux semaines prévues, nous sommes restés deux mois chez mes grands-parents – enfin, pour Stéphane, les triplées et moi, le séjour sera plus long – et le mariage de Camille qui était prévu pour début janvier a été repoussé à cet été.
Père a repris sa vie en main, la route, son bateau, son équipage et son métier à la mi-février. Avec lui, il n’a pris que Camille, voulant continuer à l’initier au métier de marchand, nous laissant, mes sœurs et moi, aux bons soins de nos grands-parents.
Il est revenu, trois mois après, avec, en plus de Camille, une femme à peine plus âgée que mon frère – Camille a dix-huit ans, elle en a à peine vingt – qui l’avait la ferme intention d’épouser ; ce qu’il a fait hier !
Son nom ?
Leslie.
Son âge ?
A peine vingt ans, dix-neuf ans, pour être précis.
D’où est-ce qu’il la connait ?
Sa famille est amie avec sa famille paternelle !
Où est-ce qu’ils se sont rencontrés ?
Au Maghreb !
Pourquoi est-ce que père veut l’épouser alors que ça ne fait même pas une année que Mère est morte ?
Aucunes idées !
Notre avis sur la question ?
On a pas le droit de le donner !
On frappe à la porte qui s’entrouvre sans que qui que se soit l’ai permis. La tête d’une vieille femme apparaît dans l’entrebâillement de la porte.
- Louizi, on passe à table ! Dit-elle.
- J’arrive, grand-mère ! Répond le garçon.
La porte se referme et, avant de descendre rejoindre sa famille pour le dîner, Louiziane griffonna une dernière phrase, dans son journal intime :
Père a épousé Leslie hier et, la semaine prochaine, Camille pourra enfin épouser sa fiancée. Il était temps !
Il ferme le cahier, bondit de sa chaise, se précipite vers la porte, dégringole l’escalier et va s’asseoir à la table de la cuisine, entre sa nouvelle belle-mère et son grand-père et tend son assiette à sa grand-mère pour qu’elle y verse la soupe, avant de se faire rabrouer par son père pour son manque d’indiscipline – on ne dévale donc pas comme ça l’escalier et on ne réclame pas de cette façon de la nourriture !
Après le décès de Sybille de Pérobé, la vie a plus ou moins reprit son cours normal : Malik a repris son emploi de marchand et à continuer à initier Camille, son fils aîné, pour qu’il puisse lui succéder, une fois qu’il ne serait plus là ! Il est toujours aussi dur avec Louiziane, le benjamin de ses enfants, qui est toujours aussi bagarreur. La seule chose qui a changé, par à port à l’époque où Madame de Pérobé était en vie, s’est que Malik a laissé ses filles et son plus jeune fils en France, chez leurs grands-parents maternels.
Lorsqu’il est revenu de l’un de ses innombrables voyages à travers le globe pour vendre ou acheter tissus, graines et on en passe et des meilleures avec Leslie qu’il avait la ferme intention d’épouser, les parents de sa défunte épouse ont échangé un regard triste, les triplées se sont regardées sans comprendre, Camille a baissé la tête pour regarder ses pieds et Stéphane s’est forcé à sourire. Louiziane, du haut de ses onze ans, a été le seul à protester, comme à chaque fois. Et comme à chaque fois, son père l’a consigné dans sa chambre en le privant de repas jusqu’au lendemain matin.
Les enfants de Pérobé n’aiment que moyennement leur belle-mère : Leslie est gentille, elle comprend qu’elle ne pourra jamais remplacer leur mère, mais Malik l’a épousé beaucoup trop rapidement après le décès de sa première femme, se qui fait que ses enfants ont l’impression que leur père veut remplacer leur mère.
20 janvier 1666
La Reine est décédée !
Je n’oublierais jamais la tête de mes sœurs, de mon frère, de ma belle-mère, de mon beau-frère, de ma belle-sœur et de mes grands-parents lorsque, après avoir enfin réussit à m’éclipser des cuisines, je leur ai annoncé le décès de la mère du Roi.
Père n’a pas bronché. Ça ne m’étonne pas de lui : il est aussi froid qu’un glaçon !
De plus, nos relations se sont aggravées, depuis deux ans, déjà quelles étaient pas glorieuses…
Enfant, j’étais un peut bagarreur, je trouvais toujours le moyen de me fourrer dans des histoires pas possibles, se qui m’attirait les foudres de mon père – ce très cher Père si froid et si colérique, malgré les sourires qu’il fait, lorsqu’il est en publique – qui trouvais ça inadmissible : utiliser ses poings, à tout bout de champ, pour des broutilles, c’est digne des jeunes malotrus des mauvais quartiers sans éducation alors que j’ai reçu un tant soit peut d’éducation, Père s’étend saigner aux quatre veines pour que même ses filles puissent apprendre à lire, à écrire et à compter. Mais j’ai su pas mal me calmer, depuis le décès de ma mère.
Aujourd’hui, je fais honte à mon géniteur car j’ai eu un enfant en n’étant non marié et que la mère s’en est allée peut de temps après avoir accouché. A à peine dix-huit ans, je me suis donc retrouvé avec un bébé sur les bras dont je devais m’occuper seul. Je ne pouvais même pas prétendre être veuf, vu que la mère de l’enfant et moi n’étions même pas mariés, nous n’étions même pas fiancés – je crois que c’est surtout pour ça que Père se sent déshonoré. Le pauvre, s'il savait qu'en plus d'avoir eu une fille sans être marié, les hommes m'attirent autant que les femmes, il aurait triplement honte...
Elle s’appelait Rose et Dieu seul sait à quel point je l’aimais !
On s’était rencontrés, un soir, chez mes grands-parents. Entre elle et moi, j’ai vraiment cru que s’était de l’amour, qu’elle m’aimait autant que moi je l’aimais. Pourtant, je n’étais qu’un jeu, pour elle, j’aurais dû écouter Père mais je ne l’ai pas fait, je ne voulais en faire qu’à ma tête. Qu’est-ce que j’ai été idiot !
Quand Père a appris que j’avais eu une fille avec Rose et que cette dernière s’en était allée sans laisser d’adresse, il a vu rouge : il m’a très clairement fait comprendre qu’il ne m’aiderait pas à m’en occuper et je devrais me débrouiller tout seul. De toute façon, il ne m’a jamais vraiment prêté beaucoup d’attention, donc un peut plus un peut moins…
Heureusement que j’ai toujours pu compter sur mes grands-parents pour m’en occuper. Et comme ma grand-mère m’avait appris à cuisiner – de la fratrie, j’ai toujours été celui qui appréciait le plus cuisiner, je ne sais pas pourquoi – j’ai donc réussi, quelques mois plus tard, à me trouver un travail d’aide de cuisine dans les cuisines du palais du Roi où je gagne suffisamment pour rembourser à mes grands-parents se qu’ils dépensent pour Osmonde que je ne vois d’ailleurs qu’à de brèves occasions, étant pas mal occupé dans les cuisines...
Le journal intime de Louiziane – dont il a noirci des pages et des pages au point de demander plusieurs fois à son frère de lui racheter un cahier dans lequel écrire – s'arrête ici, le jeune homme n'ayant pas vraiment eu le temps d'écrire depuis !
En deux ans, son travail n'a pas changé : il est toujours aide de cuisine et essaie de voire sa fille, Osmonde, dès qu'il le peut.