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 "Mes créanciers sont de deux espèces: les uns ne savent pas que je leur dois; les autres le savent et le sauront longtemps."


"Mes créanciers sont de deux espèces: les uns ne savent pas que je leur dois; les autres le savent et le sauront longtemps." EmptyVen 5 Aoû - 22:44

Pour une fois, Auguste faisait quelque chose de constructif et qui ne nuisait à personne. Assis confortablement dans son fauteuil, il lisait avec beaucoup d’intérêt l’Horace de Corneille. La tragédie avait ceci de magnifique qu’un texte a première vue empli de longueurs et de lourdeurs pouvait, pour peu que l’on cherche a entrer dans le texte au lieu de le survoler simplement de manière très superficielle, devenir vivant, poignant. Mais sous la plume de Corneille la beauté découlait également de la perfection des vers. Ils s’enchaînaient avec la précision et l’harmonie d’une pièce musicale. Ils n’avaient pas bien sûr la construction presque mathématique que l’on commençait à voir apparaître chez le jeune Racine, mais d’une certaine manière, le vidame préférait cela. A force de perfection les alexandrins de Racine devenaient presque… froids. Prévisibles. Il restait chez Corneille un peu de cette fantaisie, de cette irrégularité qui avait empreint plus ou moins fortement les décennies précédentes.

Il en était à peu près là de ses importantes réflexions, entamant en parallèle, avec délectation, la tirade de Camille flétrissant la victoire de son frère, lorsqu’on frappa. Ennuyé –il avait expressément demandé à ce qu’on le laisse tranquille- il ne répondit pas. La chose devait être d’importance, car on frappa à nouveau, interrompant à nouveau cette malheureuse Camille. A nouveau, il fit la sourde oreille. La porte s’entrouvrit sur le visage de Mondor.

« Je suis vraiment désolé monsieur… Mais votre père est sorti -»
« La belle affaire »
« … Et il y a là, en bas, un… Un fournisseur qui réclame paiement. »
« Eh bien, dis lui ce que tu viens de me dire, que Monsieur le Comte est sorti et que partant il ne peut pas le recevoir. Il n’y a là rien  de compliqué je crois. Je me demande même pourquoi tu as eu la sottise de venir poser la question. Ce n’est pas moi qui devrait t’apprendre ça, si ? »
« C’est-à-dire, que… »
« Cesse donc de bégayer sans cesse ! »


Auguste leva des yeux exaspérés au ciel. Vincent commençait à sincèrement l’agacer. Sa patience, naturellement assez capricieuse et peu étendue, le quittait à mesure que le valet s’embrouillait. Visiblement il n’avait pas tout dit, et ce qui restait à transmettre n’était pas agréable.

« Eh, quoi ? Il a menacé de ne pas partir avant d’avoir vu quelqu’un ? Qu’il fasse antichambre, Père rentrera bien un jour ! Non ? Ce n’est pas ça ? Et quoi, alors ? »
« Si vous me laissiez parler… »
« Si tu te décidais à parler ! »
« Eh bien, c’est-à-dire que… »
« Vincent ! »
« Oui, oui. Voilà. Ce monsieur, qui est boulanger, apparemment, avait rendez-vous avec monsieur le Comte, et ce dernier m’a dit de vous faire dire qu’il s’absentait pour une affaire urgente et qu’il ne serait de fait pas en mesure d’honorer son rendez-vous, mais qu’une parole donnée était une parole donnée, et qu’il comptait sur vous pour prendre son relai. »
« Et qu’est-ce qu’il veut, son boulanger ? »
« … Être payé je suppose… »
« Et avec quoi suis-je sensé le payer ? »
« Ça, monsieur le Comte n’a pas précisé. »


Auguste ouvrit des yeux ronds. Comme cela, il n’avait rien laissé ? Cette histoire de parole donnée lui avait déjà paru louche. Ce sentiment ne faisait que s’accentuer. Parler d’honneur alors que visiblement son intention était de repousser un paiement qu’il avait dû promettre il y a un certain temps de cela, c’était un rien ironique. Mais cela n’aurait guère gêné Auguste, habitué lui-même à toujours repousser et négocier, si on ne l’avait pas désigné volontaire d’office pour cette agréable tâche… Il se demanda ce qu’il avait bien pu faire pour mériter ce qui ressemblait quand même beaucoup à une vengeance plutôt mesquine, y renonça devant l’étendue des possibilités, et se renfonça en soupirant bruyamment dans son fauteuil.

« D’accord. Très bien ! Je vais rester ici, et ce boulanger se lassera bien d’attendre un jour. Il partira, et le résultat sera à peu près le même que celui que j’aurais obtenu après une demi-heure au moins d’une discussion harassante. C’est un bon compromis. »


Avec un sourire pour l’expression consternée de Vincent, Auguste reprit sa lecture. Il ne s’attendait pas à ce que le valet l’interrompe de nouveau quelques secondes à peine après qu’il ait retrouvé le vers auquel il avait dû s’arrêter.

« Monsieur avait prévu que vous diriez cela. Il a laissé un billet pour vous, au cas où. »


A nouveau, il leva les yeux au ciel. Cela, il savait aussi très bien ce qu ecela voulait dire. Ce n’était pas la première fois que le fournisseur était éconduit, et il fallait y aller pour au moins donner le change. Bien. Il adorait qu’on lui force la main. De très bonne humeur, il ferma le livre. Il comprenait tout à fait la symbolique du geste. En agissant ainsi, le Comte montrait combien peu d’importance il accordait au boulanger, et lui faisait sentir sa condition bien loin au-dessous de la sienne. Mais son fils aurait tout autant apprécié qu’il délègue l’intendant de la maison.

« Bon. J’arrive. »

Il prit le temps de choisir avec soin un habit –pas trop luxueux pour ne pas avoir l’air d’abuser, suffisamment pour essayer d’impressionner ou d’écraser le boulanger. S’étant ainsi préparé, il descendit. L’homme attendait en effet, comme annoncé, depuis un moment visiblement. Âgé, grand, l’air froid et sévère, il n’avait pas l’attitude toute pleine de flagornerie dont Auguste avait l’habitude chez les commerçants, et cela le déstabilisa. L’espace d’un très court instant, son expression encore un peu empreinte d’agacement laissa la place à de l’étonnement, avant qu’il ne réussisse à prendre un air avenant mais détaché, qui correspondait somme toute assez à ce que l’on pouvait attendre en telle occasion de quiconque se serait trouvé à sa place.

« Monsieur, mon père vous fait présenter ses excuses. Il a dû s’absenter, un impératif qu'il ne pouvait absolument pas reporter. Mais je vous en prie, passons dans le bureau. »


En lui souriant de manière tout à fait hypocrite, Auguste s’effaça pour lui laisser un passage vers la pièce devant laquelle on avait fait attendre l’artisan. Il avait beau entretenir des relations particulièrement orageuses avec son père ces dernières semaines, le vidame était décidé à ne rien céder ; question de principe. Il faisait ainsi exactement ce qu’on attendait de lui.. Pour une fois que leurs intérêts concordaient ! Il désigna, poliment,  un siège au boulanger –la note laissée par son père, au milieu des impératifs et des ordres pêle-mêle, indiquait que son nom était Roux- puis s’assit lui-même dans l’imposant fauteuil du chef de famille.

« Je vous écoute, monsieur Roux… Quel était l’objet de votre visite ? J’avoue que j’ignorais tout de votre venue il y a encore dix minutes, et qu’on ne m’a pas non plus informé de son objet.. Si nous commencions par là ? »


Il sourit à nouveau d’un air engageant. Le mensonge était purement stratégique : en fonction du ton de la réponse, il pourrait adapter la sienne.
Spoiler:
Auguste de Villiers
Auguste de Villiers
Bouche de miel, cœur de fiel Bouche de miel, cœur de fiel
Titre/Métier : Vidame de Villiers
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Situation : Marié, mais jamais trop longtemps

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