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 Pas vus pas pris [Pv. Hyacinthe]


Pas vus pas pris [Pv. Hyacinthe] EmptyMer 24 Aoû - 21:33

L’avantage d’un mariage dysfonctionnel – quoique l’intéressée aurait volontiers et très sincèrement utilisé le qualificatif inverse – était ces chambres à part qui permettaient de vaquer à ses occupations le plus librement du monde. Tout du moins du moment qu’elles ne réveillaient pas l’autre. S’agissant de Pia, rien de très bruyant ce soir encore. Pour la simple et bonne raison qu’elle était descendue d’un étage, après s’être assurée que son mari dormait bien – le ronflement portait assez loin pour s’en assurer sans trop de difficultés –, et se trouvait à présent occupée à placer avec soin des lettres de plomb sur une règle, suivant le modèle d’un pamphlet assez virulent et qui lui plaisait donc. Car bien évidemment l’imprimerie illégale supposait une absence de chaine de production convenable, c’est-à-dire notamment une impossibilité de faire appel à un ouvrier spécialisé dans l’assemblage. Le travail de singe revenait ainsi à Pia, qui à défaut d’un immense talent pour la mise en page y mettait au moins beaucoup de bonne volonté. Le texte d’origine sous les yeux, elle se retrouvait donc à manier les caractères, qu’à la lumière de quelques chandelles elle finissait d’assembler minutieusement. Et à quelques lettres mises à l’envers près, temps limité et manque de luminosité obligeaient, il lui semblait maintenant que sa composition était finie et plutôt satisfaisante. En prime le tout était terminé en avance ! Preuve qu’elle avait sous-estimé sa propre efficacité et que pour peu elle aurait pu s’en tenir à ses horaires d’origine. Car il lui restait encore une bonne demi-heure à attendre avant que l’auteur ne la rejoigne pour l’aider à imprimer un petit paquet d’exemplaires.
C’était que pour un travail correct il valait mieux ne pas être moins que deux, et le moins que Hyacinthe puisse faire était de prendre à bras le corps ses responsabilités en se rendant directement utile. Quoique, de très bon cœur, Pia reconnaissait qu’avec son talent pour coucher sur papier ce qui clochait dans la société, cette dernière lui était mille fois plus redevable qu’à ces parasites qui condamnaient ses idées à la clandestinité. Maudis héritiers… Mais l’heure n’était aujourd’hui pas aux grands débats d’idées, bien que même seule elle aurait sans doute pu aller relativement loin, mais plutôt à la discrétion. Après avoir abandonné son ouvrage pour retourner attendre à l’étage elle traina cependant un peu, profitant du calme pour feuilleter sans grand intérêt le début d’exemplaire d’une pièce de théâtre imprimée dans la journée, quand elle vu passer quelqu’un devant les fenêtres de l’atelier. Aussitôt elle revint sur ses pas pour cacher son travail d’assemblage sous quelques papiers étalés à la va-vite, par précaution, et se glissa, lumière à la main vers l’escalier qu’elle voulut rapidement emprunter. Cependant quelques coups légers frappés sur la porte la figèrent et lui firent ouvrir de grands yeux inquiets. Mais de peur qu’ils ne s’obstinent et réveillent un mari qu’elle ne souhaitait absolument pas qu’il la voie debout, ici, à cette heure, elle arriva jusqu’à l’entrée sur la pointe des pieds et non sans anxiété ouvrit la porte. Juste un peu, à peine. Simplement pour s’assurer qu’il ne s’agissait tout au plus que d’un suppôt du chevalier du guet venu vérifier qu’en dépit de la lumière aperçue dans l’atelier tout allait bien. Mais ce soir pas d’envoyé des forces de l’ordre, plutôt tout son contraire. Reconnaissant les boucles blondes Pia lâcha un lourd soupire de soulagement puis ouvrit grand la porte, ne tardant cependant pas à pointer vers le journaliste un index accusateur.

« Je t’avais écrit pour changer l’heure et te rappeler de passer par la porte de derrière ! »

Plutôt que « rappeler » « dire » aurait au demeurait été le terme le plus approprié, Pia ayant précédemment oublié cette précision. Mais elle lui semblait si banale qu’elle en était presque inutile. Soit, le commun des mortels n’était pas exactement censé connaître l’existence d’une porte dérobée, ce qui aurait été contraire au principe même d’une entrée discrète, mais tout de même. Hyacinthe n’était pas idiot à défaut d’être omniscient et aurait pu le deviner.

« Onze heures par la rue Chabrier… »

Ce qui n’était pas la même chose que dix heures et demi, rue de la Clef ! Vraiment, Hyacinthe était décidemment aussi tête en l’air que sa dégaine le laisser croire. Mais passons, puisqu’à présent qu’il était là elle n’allait pas le laisser dehors. Après quelques marmonnements en italien elle s’écarta donc et le tira par la manche pour le presser.

« Mais dépêches-toi d’entrer. »

Les politesses furent oubliées au profit de l’efficacité – Pia se dirigea sans attendre vers la plaque typographique – mais aussi d’un rapide compliment. Car Hyacinthe, ou plutôt son talent certain pour l’écriture, le valait bien. Ce n’était pas tous les jours qu’on avait devant soi un personnage si intéressant qui, doublé d’une admirable habileté avec une plume à la main, mettait en avant des principes, valeurs, et autres idées nécessaires à son temps. En réalité c’était toutes les semaines, mais qu’importait. Les encouragements s’agissant du travail bien pensé n’avaient pas à répondre à un calendrier précis.

« Il était bien ton texte, dis. J’espère que tu le défendras la semaine prochaine, je suis sûre que ça donnera lieu à un débat intéressant. »

Pia ne lui laissa cependant pas le temps d’apprécier les félicitations, encore moins de répondre, tout en posant le modèle sur une presse, elle lui désigna du menton une pile de papier située juste à côté, sur laquelle était posée un lourd ouvrage pour l’empêcher de s’envoler.  

« Attrape cinquante feuilles sur ce tas, là, les moyennes. Et tu les comptes bien ! Vu la commande de cette semaine c’est tout ce qu’on peut prendre sans que ça ne se remarque. »

Ce qui ne faisait pas beaucoup, mais c’était toujours mieux que rien. Mais malheureusement elle était samedi dernier arrivé trop tard, soit après que Fabien ait passé commande à son fournisseur, ce qui impliquait à présent qu’ils ne pouvaient pas se servir déraisonnablement. Et encore, le sens de la mesure étant chez Pia tout relatif, elle permettait ici une jolie largesse.

« Après tu en prendras quinze sur ce tas, puis sur celui-ci, et tu les remettras sur la première pile pour que ça ne se voit pas trop. »

Pendant ce temps-là elle s’assura que la planche était bien fixée afin qu’aucune lettre ne s’échappe puis vint la poser sur une presse, ce qui, grâce à l’habitude, ne demandait pas plus d’effort que de temps. Après quoi elle alla chercher de l’encre, s’assurant du coin de l’œil que Hyacinthe ne s’était pas trompé de pile ou elle ne savait trop quoi encore. Savait-on jamais, les intellectuels étaient rarement les plus doués dès lors qu’il s’agissait de faire quelque chose de leurs mains. Or ce soir n’était pas exactement le moment pour perdre son temps en gaffes, rêveries, ou les deux.
Pia Fiorentini
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Pas vus pas pris [Pv. Hyacinthe] EmptySam 27 Aoû - 12:09

Hyacinthe était occupé à dessiner des ronds à l’encre noire sur une page blanche, en attendant l’inspiration. Rien de plus difficile que de trouver une accroche. Il avait pourtant eu une idée géniale, ce type d’idées qui vous force à vous asseoir tout de suite et à trouver en urgence du papier et un crayon. Ce qu’il avait fait. Pour se trouver confronté à un blocage tenace : le début. Et pourtant, il en était sûr, tout le reste ce serait parfaitement enchaîné, si seulement il avait eu cette maudite phrase d’introduction ! Il ne pouvait pourtant pas entrer d’emblée dans le vif du sujet : on n’aurait pas compris… Un brouillon portait quatre, cinq paragraphes, débuts mort-nés de l’article avorté. Il en aurait presque oublié Pia.

Presque ! Mais le rendez-vous finit par lui revenir en mémoire, lorsque, cherchant son mouchoir pour essuyer l’encre qu’il venait de renverser, il trouva les deux billets reçus dans la journée. Sur le premier, « Dix heures et demie, rue de la Clef », sur le second, « Onze heures, rue Chabrière. » Hyacinthe ne les avait pas encore consultés. Comment, dans ces conditions, déterminer lequel avait été rédigé en premier ? Perplexe, il se mit à râler intérieurement après Pia qui, quand même, aurait pu numéroter ses billets. Ou indiquer l’heure. Ou en pas changer d’avis toutes les demi-heures. Dans l’incertitude, il plia les deux billets, les posa dans le verre préalablement vidé à cet effet, mélangea, en tira un. Le petit papier, un peu rougi par le reste de mauvais vin coupé d’eau, était celui de la rue de la Clef. Parfait ! Au moins il ne serait pas en retard, si jamais c’était l’autre. En revanche, cela lui laissait à peine le temps de se mettre en route. Abandonnant là ses ébauches il enfila son habit et sortit, le moins qu’il puisse faire étant de ne pas faire attendre l’Italienne, qui prenait déjà bien assez de risques en imprimant clandestinement dans l’imprimerie de son époux.

La rue de la Clef était déserte, lorsqu’il s’y engagea. La seule source de lumière, tremblante et incertaine, provenait de sa destination, à savoir l’imprimerie de Pia (ou plutôt de son mari, mais c’était un vague détail déjà oublié). Il frappa discrètement ; il ne fallut pas deux minutes pour la porte s’entrouvre sur les yeux mi-inquiets, mi-soupçonneux de Pia. Il voulut lui sourire, lui souhaiter bonsoir, elle le coupa en le tirant à l’intérieur tout en râlant en italien.

« T’as un caractère impossible, Pia ! Et puis t’avais qu’à écrire sur tes billets lequel t’avais écrit en premier, je ne pouvais pas deviner, moi ! On me les a remis à un moment où je ne pouvais pas les lire, alors j’ai pensé qu’en prenant le premier horaire au moins je serais à l’heure ! »

Le journaliste s’empressa de la suivre dans l’atelier. Sur la table, près de la lumière, les plaques dûment remplies par sa complice n’attendaient plus que d’être mises sous presse. A force, Hyacinthe commençait à s’habituer à son travail et se dirigea donc sans hésiter vers les piles de papier, tandis que la Vénitienne lui donnait ses instructions, sur un ton assez bref. Il ne s’agissait pas de perdre de temps en vaines palabres (tout un programme tant pour l’un que pour l’autre), mais d’être très efficace et silencieux. Pour le reste, cela attendrait.

« Cinquante ? il eut une moue. C’est pas énorme. J’critique pas, hein ! Faudra que je m’organise pour les distribuer au mieux, du coup. Promis je vous en réserve un exemplaire pour la semaine prochaine ! Et ne t’en fais pas, j’ai tout mon argumentaire de près ; tu penses, une occasion pareille, j’allais pas louper ça ! »

Le sujet lui en tenait en effet particulièrement à cœur. En se concentrant pour essayer de ne pas se tromper dans ses comptes, ce qui aurait pu avoir des conséquences pour Pia (après tout, son mari finirait peut-être par se douter de quelque chose, alors autant ne pas lui faciliter la tâche en lui laissant des indices), il forma un premier tas, puis deux autres qu’il réunit en un pour égaliser un peu les paquets, selon les instructions de Pia. Le manque se voyait encore un peu, mais pas assez pour qu’un travailleur pressé fasse la différence.

« J’les pose où ? »
souffla-t-il, attentif à ne pas parler trop fort.

Pia était visiblement trop occupée avec l’encre pour lui répondre. Hyacinthe, en attendant qu’elle ait fini, se pencha donc sur les presses et les épreuves du jour. Délaissant la pièce de théâtre qui avait absorbé Pia avant son arrivée, et reposait de fait sur le haut de la pile, son regard fut immédiatement attiré par un autre feuillet. Un placard, visiblement de source officielle –le genre de paperasse qu’on faisait imprimer un peu partout, puis placarder aux quatre coins de la ville pour maintenir l’ordre public. Posant –c'est-à-dire, oubliant-  son tas de feuilles dans un coin, sans trop noter où, il prit un des exemplaires et se plongea dans la lecture. Parvenu à la troisième ligne, il siffla entre ses dents, arrivé à la fin du paragraphe, un rire sec et nerveux lui échappait.

« T’as lu ça, Pia ? Quand j’pense qu’on peut gâcher du papier pour ça ! C’est honteux. Ce torchon est une monstruosité ! Comment peut-on décemment afficher des trucs pareils dans les rues, et sous cachet d’état encore ! La police est une plaie, une vraie gangrène ! Le jour où on en aura amputé l’Etat, ça fera toujours un membre pourri de moins…»

Il reposa le feuillet.

« Où j’ai posé les feuilles, Pia ? »


Faisant un tour sur lui-même, il fronça les sourcils, scrutant la table autour de lui. Aucune trace du paquet . Cinquante feuilles de taille moyenne ne disparaissaient pas comme cela, quand même ! Surtout pas empilées les unes sur les autres ! Il était bien certain en plus, de les avoir mises à portée de main, mais où ? Avant d’attraper le tournis, il s’arrêta en soupirant.

« Dis. Tu ne veux pas qu’on brûle les arrêtés, en attendant que ça me revienne ? »

Les yeux lui en brillaient d'excitation. Ça, ce serait vraiment utile! Evidemment, cela pouvait être dangereux, mais après tout, ce genre de papiers étaient généralement très vite récupérés, pas forcément auprès de celui qui avait imprimé d'ailleurs.

"Il suffirait de faire un faux reçu, quelque chose, je ne sais pas! Ou alors, on les change de pile. Avec un peu de chance, il ne les retrouveront jamais! Et sinon, on leur aura toujours fait perdre un peu de temps. Tu marches?"
Hyacinthe Godart
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Pas vus pas pris [Pv. Hyacinthe] EmptyDim 18 Sep - 16:55

Hyacinthe avait cette incroyable – et relativement exaspérante, il fallait bien avouer – capacité à ignorer royalement – ce qui était un comble – le fait qu’il y avait autour de lui du monde qui s’agitait. Et surtout qui aurait pu bénéficier d’un peu d’aide plutôt que d’embryons de grands discours. Au lieu de se contenter de demander comment se rendre encore utile, voilà donc le pamphlétaire qui commençait à s’insurger ce qui, quiconque le connaissait un minimum l’affirmerait, pouvait mener à un interminable monologue. Sur le fond il n’avait bien sûr pas tord. La police était un mal tout sauf nécessaire, qui brillait par son arbitraire, merveilleux pendant de l’absolutisme, et qui en plus demandait aux honnêtes commerçants de travailler pour un prix dérisoire. Pia n’entra cependant pas dans le faux débat (ils n’auraient fait que s’encourager mutuellement, ce qui n’aurait pas mené à grand sinon à de longues auto félicitations pour leurs raisonnements respectifs), elle se trouvait actuellement bien trop occupée à tamponner d’encre la machine tout en tentant de ne pas trop s’en mettre sur les doigts. Elle se contenta donc d’acquiescer sans trop de conviction, n’ayant même pas vraiment entendu la fin de la phrase de Hyacinthe.

« Mouais, tout ce que t’as dis. »

Elle reposa finalement l’encre, essuya grossièrement ses mains sur son tablier et posa un poing sur sa hanche, sur le visage une expression satisfaite. C’était qu’elle était efficace. Mais on ne pouvait pas en dire autant de Hyacinthe, qui par un mystère le plus total avait trouvé le moyen de perdre la seule chose dont il avait la charge. Et qui en plus avait le culot de croire qu’elle les avait peut-être vues, ces feuilles ! Comme si elle n’avait pas été occupée de son côté.

« Tu crois pas que j’ai mieux à faire que te surveiller ? »

Par exemple s’activer pour imprimer SES écrits ? Mais elle en avait besoin, de ces feuilles, alors de mauvaise grâce elle s’éloigna de la presse en soupirant afin de l’aider à les chercher. Mais le pamphlétaire était aussi capable d’attention qu’un enfant de cinq ans et avait déjà l’esprit ailleurs. Comment, ô grand Dieu, étaient-ils la dernière fois parvenus à imprimer leur centaine de feuillets alors qu’il ne réussissait pas à conserver plus d’une minute son attention sur la même tâche ? Accroupie pour vérifier qu’il ne les avait pas posé, elle ne savait pas trop pourquoi, en bas d’une étagère, la Vénitienne se releva d’un bond en entendant la suggestion.

« Qu’on brûle les arrêtés ? »

Elle ne s’insurgea cependant pas encore, lui laissant le temps d’aller jusqu’au bout de sa pensée. Mais impossible de se concentrer sur ce que le jeune homme avait à dire, la vision de tout ce papier qui partait en fumée restait tenacement dans son esprit. Dès qu’il se fut tu elle grimpa donc brutalement d’un ton, lui jetant au passage un regard noir et pointant en sa direction un index accusateur.

« Qu’on brûle des arrêtés ?! Mais est-ce que tu te rends seulement compte du prix du papier ! »

Se rappelant soudain qu’il y avait quelqu’un qui dormait au-dessus de leurs têtes, elle mena brusquement une main devant sa bouche, comme pour s’obliger à se taire. Puis elle repris en chuchotant, conservant tout de même un air outré.

« On ne va pas les faire flamber… »
Brûler les arrêtés… Mais après s’être signée trois fois – Hyacinthe n’avait pas idée de son blasphème ! – Pia fut tout de même disposée à exploiter l’idée.
« Par contre on peut les réutiliser pour le bien commun. »

Elle attrapa un papier et le tourna pour désigner à Hyacinthe le verso vierge.

« Derrière on imprime quelque chose d’autre et tu t’occupes de les écouler. Et si jamais la police te passe à proximité tu les changes rapidement de face et fais croire que t’as été débauché pour les distribuer. »

Ce qui semblait peut-être un peu gros, mais les hommes du Châtelet n’étaient pas spécialement réputés pour leur intelligence hors norme. Il y en avait bien quelques-uns qui sortaient du lot, certes, mais ceux-là étaient souvent plus occupés à remplir de la paperasse qu’à patrouiller dans les rues. Cherchez la logique. Et si jamais l’excuse ne prenait pas, Hyacinthe n’aurait qu’à courir vite, après tout il faisait ça très bien.

« De mon côté je pourrai peut-être embobiner celui qui devait venir les chercher en lui disant que quelqu’un est déjà passé plus tôt, ou quelque chose dans le genre. De toute façon les autorités sont tellement mal coordonnées qu’elles seraient objectivement capables de donner à cinq types la même tâche. »


Sans vouloir dénigrer encore un peu plus la police, elle n’était administrativement pas particulièrement efficace. Il suffisait de constater les éternels retard de paiement pour chaque commandé passée à l’imprimerie, si tant est que Granet était payé un jour.

« Bon, le problème c’est que ça va faire tout de même beaucoup à imprimer, tout ça… Et surtout je risque de pas avoir assez d’encre. »

Elle eut un air embêté, leva quelques secondes les yeux au plafond, le temps de trouver une solution, puis vint avec une idée qui l’embêtait un peu mais qui pouvait fonctionner. En faisant un minimum attention il n’y avait même aucune raison qu’il y ait le moindre problème immédiat.

« Il y en a d’autres bocaux à la cave mais je suis trop petite pour les attraper et l’échelle s’est cassée hier. Par contre si tu montes sur une caisse, toi tu devrais pouvoir mettre la main dessus. »

Elle lui désigna l’entrée de la cave, sous l’escalier.

« C’est sur l’étagère d’en face, quatrième étage. Et attention, la porte claque, referme la doucement derrière toi. »


La tâche n’était pas bien compliquée et même Hyacinthe était en théorie capable d’y parvenir. Refermer doucement la porte et ne pas renverser l’étagère, deux difficultés qu’il devrait pouvoir surmonter, Pia avait presque confiance. En attendant, elle venait d’apercevoir la pile de papier perdue plus tôt par le journaliste et qu’elle était décidée à écouler le plus rapidement possible.
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Pas vus pas pris [Pv. Hyacinthe] EmptySam 8 Oct - 23:19

Un peu désarmé par la réaction violente –et assez inattendue de Pia, Hyacinthe la regarda un quart de seconde avec l’air d’un enfant qui ne comprend pas pourquoi on le gronde. Il savait très bien ce que coûtait le papier, il se ruinait régulièrement en mauvais papier de chiffon, qui buvait l’encre et la restituait en une espèce de trait pâteux et grisâtre, ce qui l’amenait même parfois à rêver du jour où il aurait fait un mois suffisant pour passer à la qualité du dessus et pour enfin acquérir un outil de travail convenable. Ce qui vu ses habitudes avait l’air plutôt mal parti, mais sait-on jamais. Puis, il releva un coin de ses lèvres en un sourire plus qu’ironique.

« Désolé, désolé… Je ne voulais pas t’offenser, je pensais que tu considérais que le salut public était plus important que les intérêts financiers, mais j’avais oublié que c’étaient les tiens ! »


Il prit conscience que ses paroles pouvaient être blessantes en les écoutant sonner, légères et moqueuses, dans l’atmosphère silencieuse aux odeurs entêtantes d’encre de l’atelier d’impression. Il n’avait bien sûr pas eu l’intention de se montrer vexant –comme d’habitude-, mais une fois de plus, le résultat était là. Avec un peu de chance, Pia, qui le connaissait bien, ne se formaliserait pas. Encore que, les gens du Sud, avec leur caractère emporté…

« C’était une boutade, hein ! »


La solution que proposa ensuite Pia, si elle lui paraissait quand même un peu moins symbolique que celle de transformer la pile d’arrêtés en un joyeux feu de joie, avait cependant sur celle-ci l’avantage considérable d’être beaucoup plus drôle. Plus dangereuse aussi, mais ça ne faisait qu’ajouter un peu de piquant à la chose.

« C’est presque mieux ! Ça en fera quelque chose d’utile ; dans le fond tu as raison, le gâchis c’est pas si bien que de se faire payer ses placards aux frais de la princesse ! »

Et en plus, cela lui éviterait de chercher les feuillets. Avantage non négligeable.

« Et puis, c’est du bon papier », dit-il, en appréciant la qualité sous ses doigts. « Grain assez épais pour qu’on ne voit pas par transparence –ça réduira les risques. Et ce sera plus esthétique. Par contre y’en a un sacré paquet, va falloir activer, et on va sûrement y passer une bonne partie de la nuit, non ? »

Mais le jeu en valait la chandelle. O combien !
L’encre, par contre, posait un plus grand problème. Une pénurie signifierait un coup d’arrêt à leur projet, puisqu’il était bien sûr tout à fait exclu qu’ils trouvent un endroit où s’approvisionner discrètement à cette heure-ci. Il fit la grimace. Mais c’était sans compter sur Pia, qui avait de la ressource. Et dont la solution lui tira une deuxième grimace, encore plus marquée.

« Un bocal d’encre ? En verre, bien sûr, je suppose ? Ta confiance m’honore, vraiment… J’peux avoir de la lumière ? »


Il faudrait au moins ça, s’il s’agissait effectivement d’aller faire de l’escalade sur des étagères qu’il supposait plus ou moins stables - le terme même d’ étagère lui évoquant un objet dans lequel on ne pouvait mettre aucune confiance, une chose fourbe, susceptible à tout instant de s’écrouler et de vous entraîner dans sa chute. Il récupéra la lampe sur la table et descendit suivant les instructions de Pia. Arrivé devant la fameuse étagère, il posa la lampe, et la contempla pensivement, comme pour évaluer son potentiel de nocivité.

L’Etagère était nettement plus haute que lui. Elle était poussiéreuse –où en tous cas certains bocaux l’étaient, d’autres visiblement plus récemment amenés ici brillant à la lumière irrégulière de la lampe qui creusait d’étranges reflets dans l’encre huileuse derrière le verre. En tous cas, Pia l’avait sûrement un tout petit peu surestimé, il n’allait pas pouvoir attraper le bocal le plus proche simplement en levant la main. Mais en se dressant sur la pointe des pieds, cela devrait suffire. Il posa sa main contre un des battants de bois, se hissa sur ses orteils, tendit la main, frôla la bouteille, et se rendit compte qu’il lui manquait encore deux ou trois centimètres. Simultanément ses perceptions sensorielles l’informèrent de la présence sur sa main d’une chose munie de pattes qui le frôlaient en le chatouillant, impression qui aurait presque pu passer pour presque agréable si un très rapide coup d’œil n’avait pas aussi révélé un animal d’un diamètre plus que respectable et velu. Et qui plutôt que de continuer son chemin sur le bois remontait vers sa manche.

En se mordant la langue pour ne pas crier, Hyacinthe, d’un mouvement brusque, essaya de l’envoyer valser ; mais c’est qu’elle résistait ! Et surtout, surtout, le choc occasionné par son geste tendait à faire tanguer l’étagère, amenant les bocaux à s’entrechoquer mélodieusement à mesure qu’ils se heurtaient. Avec une présence d’esprit qui relevait de l’acte héroïque, le pamphlétaire délaissa l’arachnide qui semblait l’avoir adopté, et stabilisa l’édifice branlant. Lorsque les bocaux redevinrent silencieux, il se retourna vers son bras, commença par ne plus trouver trace de l’araignée, (ce qui lui occasionna de curieux fourmillement dans le cou, par exemple…) plus la redécouvrit lovée dans un des plis de sa manche ample. Elle était véritablement énorme, Pia ne se rendait pas compte de sa chance, dans des conditions normales il aurait hurlé à en percer les tympans des voisins. Mais l’effet de surprise en moins, l’animal semblait beaucoup impressionnant, et après lui avoir rendu sa liberté, Hyacinthe put à nouveau s’intéresser au bocal. Il n’y avait rien dans la pièce qui aurait pu constituer un marchepied digne de ce nom ; qu’à cela ne tienne ! Prenant, du bout des pieds, appui sur le dernier plateau de l’étagère, il se hissa en tremblant qu’elle ne tombe en avant. Mais il fallut à peine quelques secondes pour récupérer le flacon et redescendre –sans casse.

En remontant, sa lampe dans une main, le flacon dans l’autre, le journaliste cherchait une excuse capable de justifier le fait qu’il ait bien dû mettre dix minutes à descendre à la cave, à attraper un malheureux flacon, et à revenir. Quoique –Pia avait sans doute eu de quoi s’occuper suffisamment pour ne pas voir le temps passer.

En haut, il fut surpris de ne plus trouver de lumière dans l’atelier. La presse était prête à être mise en mouvement, nulle trace de la silhouette de Pia. Hyacinthe avait suffisamment l’habitude des nuits d’impression clandestine pour savoir ce que cela signifiait –patrouille, ronde, ou personne indésirable susceptible de s’étonner de voir une seule lumière en une heure aussi tardive et surtout dans un lieu aussi stratégique – et eut, heureusement le bon réflexe, celui de souffler la chandelle de la lampe avant de se baisser sous le niveau de la fenêtre, tout en adressant une rapide prière au saint patron des étourdis –si tant est qu’il y en ait un- pour que sa lumière n’ait pas été vue pendant le court laps de temps –mais qui pouvait suffire- où elle avait éclairé l’atelier.
Hyacinthe Godart
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Pas vus pas pris [Pv. Hyacinthe] EmptyJeu 3 Nov - 15:23

La confiance qu’elle avait en Hyacinthe était loin d’être proportionnelle à l’amitié qu’elle lui portait. Si bien qu’elle ne tarda pas à regretter de lui avoir confié une si lourde responsabilité. Que faudrait-il ? Une minute, tout au plus le double avant d’entendre un bocal se fracasser, si ce n’était pas toute l’étagère ? Et encore, s’il se débrouillait pour que la fortune de matériel lui tombe devant les pieds et pas sur la tête c’était qu’il s’en serait plutôt bien sorti. Un instant Pia tenta de balayer la sinistre perspective, voulant se persuader que Hyacinthe ne pouvait décemment pas être toujours aussi maladroit qu’il en avait l’air. Mais finalement le principe de précaution l’emporta. Quelques minutes à peine après qu’il soit descendu dans la cave elle abandonna donc sa propre tâche, jugeant qu’elle ne pouvait décemment pas assumer la décision de l’envoyer seul en bas.
Elle n’eut cependant pas le temps d’atteindre la porte qu’elle se figea net, persuadée d’avoir entendu frapper depuis la rue. Après une seconde de panique, les yeux grands ouverts et une bouche que la carpe n’aurait rien envié, elle eut donc le reflexe de la sécurité : souffler sa bougie et ne plus bouger d’un cil. Et contrairement à la première fois où ils avaient manqué de se faire prendre elle ne céda pas à la tentation de s’accroupir par terre en priant la sainte Vierge, les bras autour de ses jambes. Premièrement car les moqueries de Hyacinthe lui avaient coupé toute envie de recommencer, également car après avoir manqué de rouler par terre la faute à un équilibre précaire elle avait elle-même convenu que la position fœtale n’était pas exactement une brillante idée.
Pia resta donc un moment dans le noir, un chandelier éteint entre les deux mains, à retenir autant que possible une respiration qui voulait s’emballer. Mais les minutes passèrent sans que personne n’insiste à la porte ni ne descende de l’étage, lui faisant finalement croire que ce n’était qu’une fausse alerte. Encore le chat de la voisine qui venait gratter à la porte, à coup sûr. Comme les hommes selon sa nonna: on les nourrissait un jour et c’était tout une vie qu’on les avait sur les bras. Mais Pia ne pesta pas bien longtemps sur le pauvre animal, elle devint rapidement trop occupée à le faire contre sa propre bêtise. Car éteindre la lumière c’était une chose, la rallumer en était une autre. Et, en plus de ne pas pouvoir avancer plus qu’à tâtons dans le noir complet, elle était incapable de se rappeler où diable dans l’atelier elle avait abandonné des allumettes. Près des livres de comptes, peut-être. Ce qui était approximativement… Par là. Aïe. Elle avait oublié l’état de bazar avancé dans lequel se trouvait l’endroit et venait de se prendre une malle pleine de livres dans le pied, ce qui lui tira un couinement de douleur. Promis, elle insisterait pour qu’une journée de la semaine prochaine soit entièrement consacrée au rangement.
En sautillant à moitié elle parvint cependant à atteindre le bureau, qu’elle tâtonna de long en large sans rien trouver de concluant. Heureusement elle entendait Hyacinthe remonter. Ce n’était pas trop tôt, d’ailleurs. A se demander s’il ne s’était pas endormi en chemin. Mais elle n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche pour lui dire d’amener fissa la lumière ici que déjà il l’éteignait. C’était bien le moment d’avoir les idées lucides ! Pour une fois que sa tête dans les nuages aurait put leur être directement utile… Tant pis, il faudrait faire avec le noir.

« Hyacinthe, par ici.
Indication qui, dans l’obscurité quasi totale, n’était sans doute d’une aide que limitée.
- J’ai cru entendre quelqu’un alors j’ai éteint.
S’il avait fait jour on aurait pu voir une grimace embêtée.
- Mais j’trouve plus de quoi allumer.
En fouillant un plan de travail – en plus d’imprimer ils allaient donc devoir remettre de l’ordre. Formidable perspective – elle tomba cependant sur ce qui ressemblait assez à ce qu’elle cherchait. Faisant au passage atterrir par terre une règle en acier, à vue d’oreille, mais au point où ils en étaient ça ne pouvait pas être bien grave.
- Ah, j’ai.
Mais le problème de la lumière résidait principalement dans le fait qu’elle était dans le noir difficile à faire jaillir.
- Tss, ça marche pas ct’affaire.
Ce qui était très contrariant.
- Tiens, toi essaye.
Mais à peine lui eut-elle tendit le matériel qu’elle lui gesticula d’arrêter.
- Arrête, j’ai entendu quelque chose ! »


Citation :
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'Sujet de Fortuna' : 18

Et ça venait de l’étage. C’était mauvais ça… Très très mauvais. Des pas lents, le propre de celui qui se trouvait encore à moitié dans les bras de Morphée, se rapprochaient de l’escalier pendant que l’Italienne paniquait.

« Planque toi vite ! »

Heureusement à mesure que Fabien descendait une faible lumière venait éclairer l’atelier. Ce qui avait cependant pour fâcheuse conséquence de mettre en évidence une presse prête à être actionnée et une pile d’arrêtés qui en étaient étrangement proches. La faute de Hyacinthe, tout ça ! S’il avait écrit des papiers un peu plus mauvais elle n’aurait jamais passé ses nuits à tenter de les imprimer… Mais tant pis pour ce qui trainait, avec un peu de chance il ne le remarquerait même pas. Et tout était de trouver, et vite, une explication à tout ce raffut. Le chat de la voisine ? Un peu trop gros. Une soudaine et nocturne envie de changer l’organisation de tout l’étage ? On pouvait faire plus crédible.

« Y’a quelqu’un ? »

Triple mince. Une idée, fissa. Ah, le bureau ! Tout en implorant tous les saints pour que Hyacinthe se soit trouvé une planque digne de ce nom Pia se glissa derrière le livre de comptes, prête à servir un bobard vaguement, très vaguement crédible. Mensonge qui comptait sur le fait que son complice ait effectivement disparu de tout champ de vision et se retienne du moindre faux pas. C’était officiel, elle haïssait Hyacinthe. Et une fois qu’ils se seraient sortis de là il allait se le faire dire, et sans doute pas de la plus polie des manières. Mais pour le moment elle avait urgent à faire.

« - C’est moi. Je… Faisais les comptes. Je n’arrivai pas à dormir alors je me suis dis que j’allais rattraper le retard que j’ai pris aujourd’hui.
Inutile de dire que Granet fut doublement étonné.
- Qu’est-ce que tu fais dans le noir ?
Quel désagréable sens du détail il avait.
- Accident de bougie. »
Ce qu’il sembla gober à moitié, la faute à la fatigue sans doute. Mais l’air étrangement peu paisible de son atelier lui fit tout de même froncer les sourcils et commencer à s’avancer là où il valait mieux qu’il ne mette pas le nez.

Spoiler:
Pia Fiorentini
Pia Fiorentini
..
Titre/Métier : Autoproclamée gestionnaire de nuit de l'imprimerie du mari
Billets envoyés : 144
Situation : Mariée pour la forme

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Pas vus pas pris [Pv. Hyacinthe] EmptyDim 6 Nov - 13:05

Dans le noir qui venait de se faire et auquel il n’avait pas eu le temps de s’habituer encore, Hyacinthe entendit la voix de Pia. Par ici, par ici, elle était drôle ! Il n’était même pas acquis qu’il ait été capable de se repérer avec des indications claires du type « à côté de la presse » dans cette obscurité complète, alors avec ça ! Pour autant qu’il puisse s’avancer, la voix venait de droite. Ou à la réflexion, plutôt droit devant. Il avança donc dans cette hypothétique direction, prudemment, mais pas assez encore pour éviter de rentrer dans le coin de la table. Avec un gémissement de douleur et en frottant sa hanche douloureuse, il maudit l’Italienne. L’idée de se blâmer lui-même pour avoir éteint la bougie, dernière source de lumière, ne lui serait bien sûr pas venue. Et puis, c’est Pia qui s’était trompée, et il avait trop mal pour raisonner.

Les contours commençaient à se déterminer un peu autour de lui, ce qui lui évita de rencontrer de nouveau brutalement un quelconque meuble, et de s’orienter finalement tant bien que mal à l’oreille vers Pia (qui s’avéra se trouver à gauche, finalement, à côté du bureau de Granet.) Le terrain étant littéralement miné, il s’avança avec précautions, à tâtons, attentif à ne pas faire de bruit, et finit par la rejoindre. Pia s’escrimait de manière plutôt comique pour essayer de faire jaillir une flammèche capable de leur redonner de quoi y voir. De temps à autre un début d’étincelle, tentative vite réduite à néant, s’élevait.

-C’est malin, quand même, si tu m’avais prévenu un peu plus tôt on n’en serait pas là ! Mais remarque tu devrais être contente, jusque-là tu te plaignais toujours de mon temps de réaction, reconnais quand même que j’ai fait des progrès, non ?... T’es sûre que tu ne veux pas que je le fasse ? Je ne suis pas très doué de mes dix doigts mais rallumer une bougie, en principe, ça entre dans le champ de mes compétences, tu sais.


Elle ne paraissait pas en écouter un traître mot, trop occupée à ses essais infructueux, et Hyacinthe continua donc à produire un inutile fond sonore jusqu’à ce que de guerre lasse, elle lui tende le dispositif. Hyacinthe s’apprêtait à essayer à son tour lorsqu’il perçut des mouvements brusques. Pia brassait de l’air à côté de lui, et ça, ce n’était pas bon signe.

-T’es sûre que c’est pas encore des voix ?
Ironisa-t-il. J’ai rien entendu moi… il dressa l’oreille un instant, sûr que Pia était trop nerveuse et qu’elle se racontait des histoires. Mais force fut bien de l’admettre : il y avait en effet du bruit en haut. Des pas lourds de sommeil, mais qui inexorablement se rapprochaient de l’escalier. Bref, des ennuis en perspective, et pas des moindres. Hyacinthe jura, agrippa les allumettes (pas question de les perdre celles-là, ils en auraient peut-être besoin tout à l’heure, qui sait, Granet ne les avait peut-être pas entendus et il existait bien d’autres raisons qui peuvent pousser un dormeur à quitter la chaleur de leur lit que celle qui aurait voulu qu’il ait perçu quelque chose de louche en bas).

-T’as raison, souffla le journaliste. J’emmène la bougie, pour pas la perdre.

Déjà elle le poussait et se précipitait vers le bureau.
Les pas de Granet se rapprochaient : il était dans l’escalier.

Hyacinthe pria pour qu’il soit long, très long, cet escalier. Parce que se trouver une cachette digne de ce nom dans une pièce aussi encombrée, dans le noir, et qu’il ne connaissait pas bien, c’était un rien compliqué. Surtout si l’on prenait en compte l’inévitable facteur lumière : Granet allait sûrement descendre avec de quoi s’éclairer, lui, et à ce moment-là il verrait sans doute instantanément la moindre anomalie dans cet atelier qu’il fréquentait de manière quotidienne. Des réminiscences de stratégies toutes droites sorties de son enfance passée à jouer à cache-cache avec ses frères et sœurs (un jeu très utile, parce qu’en cas de réprimande des parents on pouvait réinvestir rapidement les cachettes ainsi découvertes) lui revinrent instantanément. Les meilleures cachettes étaient toujours les plus inattendues, et on cherchait toujours au niveau du sol. La spécialité de Hyacinthe, ç’avait toujours été les cachettes suspendues. Mais Pia risquait de ne pas les voir d’un très bon œil, et puis elles nécessitaient plus de temps. Et comme il ne distinguait guère que quelques arêtes de tables, et que les pas commençaient à se faire vraiment trop proches pour lui permettre de tergiverser davantage, une décision rapide commençait à s’imposer vraiment. Sachant que Granet irait d’abord au bureau puis, peut-être à la presse, Hyacinthe se dit qu’on n’était jamais mieux abrité qu’à proximité immédiate du danger (règle bien connue) et se précipita sous la table qui jouxtait la presse. En se collant à la machine d’imprimerie et en ramenant devant lui une pile énorme de papier (presque aussi grande que lui accroupi) destinée aux impressions du lendemain, il se ménagea une espèce de cachette tout à fait convenable. Elle n’était certes pas abritée de tous les côtés, mais en admettant que Granet ailler vers la presse, à ce moment-là il serait directement à ses pieds et la probabilité qu’il se penche pour regarder sous la table était plus que minime. Le tout maintenant était de ne plus faire le moindre bruit et de ne plus bouger du tout (tout un programme).

Il ne vit pas, du coup, Granet entrer dans la pièce. Ce qui était plutôt préférable, parce que dans sa position, s’il venait à voir autre chose que les mollets du brave homme, il y aurait du souci à se faire. Mais il n’y avait aucune raison pour que l’imprimeur à moitié endormi comme il devait l’être se mette à fouiller la pièce. Il fallait rester rationnel. Et se retenir de pouffer devant la platitude absolue de l’excuse trouvée par Pia, excuse qui n’expliquait rien du tout et qui ne les sortirait pas du tout d’affaire. (Envisagée de la sorte ladite réplique perdait d’ailleurs beaucoup de son effet comique.) En implorant les Muses que l’inspiration vienne à Pia et qu’elle se fasse un peu plus convaincante, de manière à ce que l’imprimeur aille gentiment finir sa nuit, il résista à la tentation de décaler un peu sa pile de papiers pour voir ce qu’il en était. Avoir le son, mais sans l’image, voilà une situation frustrante s’il en était une.

Et puis les pas de Granet se rapprochèrent. Tous les sens en éveil, Hyacinthe sentait presque le plancher vibrer.
Simultanément, comme par hasard, un besoin impérieux d’éternuer le prit à la gorge.

Luttant contre ce qui aurait signé une issue fatale de leur projet, Hyacinthe pria pour que Pia intervienne, qu’elle dise quelque chose, n’importe quoi ! Voire qu’elle crie, ce qui aurait étouffé le bruit de l’éternuement. Mais non, elle avait sûrement pensé plus malin de laisser Granet agir à sa guise, pour ne pas éveiller ses soupçons en le dissuadant de manière trop insistante de s’approcher de la presse. Le journaliste sous la table se pinça le nez avec deux doigts et attendit, plus inquiet pour son pamphlet que pour lui-même (son pauvre travail, si vulnérable, dans lequel il avait mis toute son âme et ses idées ! L’idée même qu’il puisse tomber dans les mains de l’imprimeur, et de là sans doute dans la cheminée, l’horrifiait.)

Collé à la presse comme espérant s’incruster dedans, et voire même pourquoi s’absorber complètement dans le bois jusqu’à y disparaître, Hyacinthe vit tout à coup entrer dans son champ de vision les pieds chaussés de ridicules chaussures d’intérieur usées de l’imprimeur. C’était le moment ou jamais de se tenir à carreau.

-Et ils sont encore partis sans nettoyer la presse ! Ah, ces apprentis… J’étais pourtant certain de les avoir vus faire. C’est drôle, tout de même.

Pia répondit quelque chose qu’il n’entendit pas. C’était le moment fatidique. Celui où il allait découvrir le pot aux roses, la supercherie, tout ! Celui où son travail allait partir en fumée (et attirer des ennuis à Pia aussi. Et à lui par ricochet. Trouver un imprimeur clandestin, c’était la croix et la bannière, la quête du Graal, bref, une tâche longue et quasi impossible.) Et s’il se faisait voir ? Cela détournerait l’attention de Granet, pour sûr. Après, il était moins évident que l’idée soit bonne. Il entendit qu’on remuait les papiers au-dessus de sa tête. Et forcément il allait finir par faire un lien logique. Forcément…

Et puis un évènement inattendu survint : on frappa trois coups à la porte. Le cœur de Hyacinthe loupa deux ou trois battements, il faillit crier de surprise, où même pire se raccrocher à la première chose qui lui passait sous la main (et comme il s’agissait au choix du pied de la table ou de la jambe de Granet, ils évitèrent de peu la catastrophe.) Il y eut un instant de silence dans l’atelier, puis Granet grommela quelque chose.

-Ça doit être le guet. C’est vrai que le couvre-feu est passé depuis longtemps. Aussi, si tu n’avais pas des idées aussi farfelues, Pia ! Tu le sais pourtant, non, que les imprimeries sont particulièrement surveillées ! Je vais passer pour un de ces excités qui répandent des écrits contestataires, maintenant, et même si je n’ai rien à me reprocher. La prochaine fois que tu as des insomnies, récite toi plutôt des «ave maria » ou des « pater noster » dans ton lit, ça fera moins de problèmes… Tu vas couler la boutique, à la fin !


Et il tourna les talons. Hyacinthe, jaillissant de sous la table juste dans son dos, attrapa à la volée le texte de son précieux pamphlet sous le regard de Pia, pendant que Granet se dirigeait vers la porte, avec le pas tranquille et la voix bourrue de qui n’a rien à se reprocher, même si ses précédentes paroles montraient assez que comme la majorité des Parisiens, il n’aimait pas beaucoup tout ce qui devait faire respecter l’ordre public. Hyacinthe aurait bien changé de cachette par la même occasion, mais comme Granet atteignait déjà la porte, il se contenta de se recroqueviller un peu plus dans sa cachette précédente.
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