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 La plume et le poing [Pv. Pia]


La plume et le poing [Pv. Pia] EmptyDim 18 Sep - 0:22

Une ombre géante, trapue, toute en angles acérés, étendait les bras sur le mur en pierres de taille. Épaules trop larges. Membres trop longs. Contours tremblants de froid, ou d’inquiétude. La colonne centrale vrillait sur elle-même comme les vertèbres d’un vieillard à genoux, abattu, qui laisserait pendre tout droit ses bras interminables de chaque côté de sa silhouette en croix étêtée.

Bianca, allongée sur un galetas de fortune, les bras croisés sous la tête, contempla longuement le fantôme invoqué par la presse. Après avoir créché quelques semaines – soit plus longtemps qu’elle y avait été invitée, il va sans dire – chez le Long, elle avait senti le besoin non pas de lui débarrasser le plancher, mais de changer d’air. Tous ces regards en coin lui piquaient la couenne. Toutes ces haleines élogieuses et inquiètes lui filaient la gerbe. Derrière chaque visage se cachait un traître en puissance – peut-être même déjà en acte ; et même ceux qu’elle connaissait par cœur, les récents événements les lui aliénaient pour jamais. Elle avait donc pris la tangente. Une nuit par-ci, une nuit par-là. Elle court, elle court, la Bianca. Du galetas d’une amante pierreuse au grenier d’un marchand en goguette. D’un recoin de catacombes aux toits de Paris à la belle étoile. Au hasard de ses errances, elle avait envisagé le gîte idéal : les ateliers des artisans.
Relativement propres, toujours vides la nuit, ce genre de locaux offrait des conditions de nidification idéale pour une artiste de la cambriole. En réalité, l’idée ne venait pas d’elle : une vieille amie la lui avait soufflée, anciennement serveuse dans un bouge quelconque, et rangée des voitures depuis son récent mariage avec un petit ouvrier pressé. Pourquoi avait-elle dit « pressé », d’ailleurs ? quel rapport ? ou bien était-ce « pressier » ? Bianca suivait déjà plus bien, à ce stade de la conversation. Elle imaginait déjà les possibilités. Elle avait donc expérimenté l’hospitalité de plusieurs corps de logis avant d’élire pour quelques temps l’imprimerie Granet, joli petit local en bas d’une maison cossue. Et voilà comment elle fut introduite, pour la première et probablement la dernière fois de sa vie, à la puissance incantatoire de l’imprimerie.
Ceci dit, à bien y regarder, l’ombre projetée ne ressemblait pas tant à son défunt chef de bande. Ni même à un homme tout court. Trop géométrique. Un clignement d’yeux la convainquit de sa bêtise : un cadre en bois est un cadre en bois, est un cadre en bois. Et son ombre est son ombre. Point. Elle roula sur le flanc, tournant résolument le dos aux rayons de lune responsables de cette satanée incarnation, et se coucha fâchée.

***

Les vieux du dessus dormaient probablement depuis des lustres, tandis que leur hôte clandestine fermait l’œil par intermittence. Le jour, elle était encore Bianca Albin, éclat bancal d’énergie brute, explosion, fanfare ; mais la nuit ? mais ces heures de silence, de désœuvrement ? Quand les virées crépusculaires de jadis paraissaient plus lointaines encore de se rappeler à son bon souvenir, quand la solitude garce retentissait à ses tympans, quand enfin il n’existait plus rien au monde que le gouffre béant qui avale et qui rit, Bianca eût donné n’importe quoi pour un divertissement qui ne venait pas.

Elle fut sortie ; mais on ne peut pas toutes les nuits chasser un individu de la volée d’Arthur Duplessy. Déjà, parce qu’il n’y a rien à apprendre à le regarder pioncer. Ensuite, parce qu’à se rompre l’échine en pure perte, on devient inefficace et on fait des bêtises. Non, non. Il fallait dormir un peu. La larronne se concentra sur l’odeur âpre, dense et doucereuse qui imprégnait les lieux : relents de vieux chiffons, de bois sucré, quelques notes de métal et de cuir. Ce drôle de parfum l’apaisait. Tenace, de surcroît : ses vêtements et ses cheveux l’absorbaient si vite qu’elle devait se laver de grand air, le matin venu, pour ne point trahir son repaire actuel.
De grandes goulées de ces arômes calmèrent ses sueurs froides. Quant à dormir, cependant : peine perdue. Dépitée, elle se dépêtra de la vieille cape qui lui servait de drap, se hissa sur ses jambes, et entreprit, comme les nuits précédentes, de faire les cent pas dans l’atelier désœuvré.

Derrière les machines biscornues qui dévoraient l’espace, sur une manière de gros buffet en bois, des piles de feuilles s’élevaient vers le plafond. La larronne inspecta ces colonnes de papier avec le sérieux d’un sergent. Son œil ne distinguait pas la différence légère de grain, de couleur, l’aspect plus ou moins pelucheux des feuillets, si bien que le classement lui resta un mystère ; de toute façon, elle ne s’interrogeait sans doute pas à ce sujet. Au moment de passer en revue les piles de l’établi suivant, elle s’était déjà désintéressée. Son regard roula sans s’arrêter sur ces feuilles-ci, où d’étranges signes dansaient comme de petits vers noirs.

Soudain, un grattement léger comme un soupir, discret comme une brise fendit son ennui.
Bianca Albin
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La plume et le poing [Pv. Pia] EmptySam 29 Oct - 16:00

Il y avait quelque chose de plaisant à savoir que tout autour de soi été endormi. Une impression d’être momentanément seule reine en son royaume, cela lui revenait souvent mais ne la lassait jamais.
Entre le bruit des machines, les commandes qui arrivaient et les exemplaires qui s’empilaient, une journée à l’imprimerie n’était pas de tout repos et il ne fallait le soit pas longtemps avant que le propriétaire tombe de fatigue. Ce qui arrangeait assez l’opportuniste qui lui servait de femme. Entre huit et vingt heures occupée à graviter entre les livres de comptes et quelques amis dont Granet ne voulait pas entendre parler, Pia avait la nuit tombée un regain d’énergie qu’elle aimait à utiliser à bon escient – ou abusif, c’était selon.

Le rituel ne changeait pas : se glisser jusqu’à la porte du mari et y poser l’oreille pour s’assurer de ses lourds soupires, descendre à pas de chat les escaliers, vérifier en jetant un regard par la fenêtre que le guet ne s’était pas détourné par ici puis s’en aller vaquer à ses petits trafics. Comme toujours elle prit donc maintes précautions pour ne pas faire grincer le vieux parquet – se trouvant par ailleurs un talent par la discrétion qu’elle aurait dans une vie passée put exploiter à bien d’autres usages, et laissa un peu tomber sa garde en arrivant dans l’atelier. En commençant à compter les feuilles qu’elle prévoyait de se mettre de côté – très exactement dix chaque soir, pour que le lendemain cela ne choque personne –, bougie posée sur un plan de travail, elle entama même, à voix si basse cependant que les paroles n’étaient qu’un flux coloré au sens indéchiffrable, une chansonnette de chez elle. Avec les années passées loin de la lagune l’air était devenu un peu plus approximatif, le fond peut-être aussi, mais un certain entrain demeurait et comme un automatisme les épaules ondulaient en mesure.
Rusée comme le gondolier, se dit-elle en alignant avec minutie les coins de papier, pour en faire une pile parfaitement rectangle. Mais pas exactement aussi adroite. En se tournant avec un peu trop d’entrain un coup de coude se perdit dans une pile de livres pas plus vieux que cet après-midi et vint s’écraser un peu trop bruyamment par terre. La faute à l’apprenti qui les avait mal rangés, ça… Vexée d’être coupée dans son élan, Pia lâcha un lourd soupir en s’accroupissant, et soudain se figea. Car elle jurait sur l’âme de sa nonna Maria avoir vu une ombre passer ! Triple mince. Le chat de la voisine qui s’était encore perdu, peut-être ? Convaincue qu’il ne pouvait s’agir que d’un animal égaré elle se signa tout de même deux fois, au cas où. Puis, bougie à la main elle s’avança à pas feutré vers le coin suspect. Et la bestiole avait beau faire grincer le parquet, elle n’irait pas bien loin.
Sauf que la bestiole en question se trouva avoir seulement deux jambes et pas l’air d’avoir atterri là par erreur. Qu’est-ce que c’était que cette affaire…

« Bah ça ! »

S’apercevant qu’elle s’était exclamée un peu trop fort, aussitôt elle mena une main à sa bouche. C’était qu’en plus de se croire chez elle cette occupante illégale la faisait dangereusement gaffer. Quelques secondes elle resta interdite, puis détailla de pied en cap la silhouette toute grise qui lui faisait face. C’était qu’il n’avait vraiment pas l’air en forme, ce bout de femme. Une figure qui avait l’air de sortir de la morgue et sur le dos des vêtements qui n’étaient pas en bien meilleur état, on ne savait pas trop si elle devait faire peur ou peine à voir. Mais dans les circonstances du moment Pia n’avait pas l’esprit à trop de clémence. Elle tendit légèrement le cou en avant, pour s’approcher un peu de l’intruse sans avoir à faire un pas vers elle, et à voix basse mais décidée lui rappela qu’il y avait des endroits plus adaptés à son état.

« Ici c’est pas l’hospice ! Les mourants c’est à deux rues d’ici qu’on les prend. »

Mais le penser et se l’entendre dire ce n’était tout de même pas la même chose. Et mettre quelqu’un qui avait l’air de tenir à peine sur ses deux jambes dehors, au milieu de la nuit, ça ne sonnait pas très chrétien. Au lieu de la pousser illico dehors elle fit donc quelques pas autour pour regarder non sans crainte que personne ne se cachait dans d’autres recoins.  

« T’es toute seule au moins ? »

Si elle avait ramené toute une bande elle jurait de… De quoi d’abord ? Pas d’appeler son mari à l’air, de toute évidence. Il aurait posé trop de questions. Mais de toute façon il lui semblait qu’il n’y avait pas foule.

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La plume et le poing [Pv. Pia] EmptyLun 31 Oct - 17:59

Débusquée, la larronne se dressa résolument de toute sa hauteur sur des jambes en chiffons.

L’école de la cambriole lui avait pourtant appris à se planquer sans faire d’histoire. Leçon simple, essentielle : quand on s’faisait surprendre, s’occuper de ses miches. Trouver un coin sombre, se recroqueviller, déguiser sa présence au lieu de s’inquiéter de ce que l’importun foutait là où il – on ? – n’aurait pas dû être. Bianca eut persisté dans sa cachette de fortune aussi longtemps que nécessaire, des heures peut-être, occupée seulement de soustraire sa présente à l’attention intruse… et tant pis pour l’inconfort de sa position.
Car l’irruption avait été trop soudaine. Tout juste avait-elle plongé sous les jambes épaisses d’une presse installée à l’écart, que cette femme flamboyante prenait possession des lieux. Et pour rester, apparemment. Quelle que fut son affaire, elle prenait son temps. Or, la truande accroupie, jouant d’équilibre dans le cadre en bois massif, sentait déjà les crocs brûlants de l’impatience lui lacérer les cuisses. Elle ne tiendrait pas longtemps. Les plus endurcis ne tardaient guère à s’effondrer, incapables  de se redresser correctement – quand ils pouvaient seulement marche ; elle n’était déjà pas au mieux de sa forme. Pourvu que, pourvu que…
Mais il est bien connu que les prières des truands ne sont pas entendues, surtout pas celles de Bianca Albin. Quand la pile d’ouvrage s’était effondrée, dans un barouf à faire grincer ses dents de professionnelle de la discrétion, elle avait su. Pas un instant à perdre. Si l’autre se penchait, elle n’aurait qu’un instant ; et pourvu qu’elle soit aussi aveugle qu’empotée.
Pas de chance.

Bras croisés, elle toisa l’intruse. Italienne, de toute évidence, et pas aussi douée que prévu pour la discrétion. Son éclat de surprise pouvait avoir éveillé quelqu’un. Bianca agacée se voyait déjà face aux maîtres de maison, obligée de leur expliquer son point de vue – probablement à coup de poignard, si elle ne voulait pas finir entre les griffes de la maréchaussée. Une fois, mais pas deux ! Surtout pas après s’être donné tant de mal pour s’évader du Châtelet. Mieux valait d’ailleurs pas gamberger sur ce que les tauliers lui feraient pour venger leurs camarades…

« Plus maintenant, on dirait » souffla-t-elle avec humeur, suivant d’un regard peu amène la rouquine qui furetait autour. Qui cela pouvait-il être ? Une chapardeuse un brin territoriale ? Bianca dirigea les yeux vers le meuble auprès duquel la femme s’affairait un instant plus tôt, y cherchant quelqu’indice qui expliquerait sa présence nocturne dans l’imprimerie ; maintenant qu’elle était repérée, l’information gagnait de la valeur. Quelle ne fut pas sa perplexité, quand elle identifia la nouvelle pile de feuille mises de côté… Ses sourcils bondirent d’un commun accord au-dessus d’un regard las. Tout se vendait, d’accord, mais ça ? Et en si petite quantité ?
En plus, la bande des Italiens était nettement moins bien fagotée.
Étrange, étrange.

« Bouge donc point tant », poursuivit-elle avec un peu plus de douceur, secouant la tête comme une vieille femme résignée. Après tout, elle n’avait pas de raison d’agir comme si l’endroit lui appartenait – pas tant, d’ailleurs, parce qu’elle l’empruntait, que parce qu’elle n’y était pas précisément attachée. Que l’autre s’y sentît plus légitime, de fait, prêtait à interrogations ; mais il y avait plus urgent. « T’vas rameuter du monde, à t’tortiller comme ça. Déjà qu’t’as fait un boucan d’enfer… »

Glissant sur le sol avec un genre de légèreté sans grâce, elle approcha de la porte pour tâcher de percevoir un éventuel mouvement. Pas un chat au-dehors, pas le plus petit écho d’agitation dans la rue ou dans les étages. Se pouvait-il que le chambardement n’ait alarmé personne, le lourd sommeil des Justes pesant comme une chape sur les paupières des habitants de la maisonnée ?

« Si quelqu’un s’radine, t’s’ras ben contente d’avoir la mourante dans les pattes, va. Allez. Récupère-donc tes machins. »

Geste du menton vers les piles de papelards. Quoiqu’elle fiche, l’Italienne, Bianca ne projetait clairement pas de l’en empêcher. Improvisée sa vigie sans même quérir son avis – ni quelconque compensation, voyez comme c’est pratique – la larronne méfiante resta aux aguets, le temps de se convaincre si personne ne pointerait son nez.

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Bianca Albin
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La plume et le poing [Pv. Pia] EmptyDim 6 Nov - 16:06

En dépit des risques que Pia prenait quasi quotidiennement – et encore, aussi aurait-il fallu en avoir une véritable conscience –, elle ne s’était jamais réellement frottée à une situation proprement délicate. La faute à un art de la discrétion et de la juste mesure voulait-elle croire ; en réalité la chance avait également beaucoup à voir. Ou une assiduité dans la prière qui était régulièrement récompensée, pour certains cela aurait également pu se tenir. Toujours était-il que se sortir des situations délicates n’était pas exactement son domaine d’expertise, pas plus que l’évaluation rapide, objective et efficace desdites situations. Si bien qu’elle n’eut pas exactement le répondant qu’elle s’était rêvé lorsque l’hôte non désirée lui fit signe de se presser.

« Ils vont nulle part mes machins, je les mets juste de côté parce que... »
Mais qu’est-ce qu’elle lui faisait dire ?! Pia fronça franchement nez et sourcils et secoua la tête avec un air renfrogné qui tenait plus de la moue de l’enfant boudeur que de la figure menaçante. Pour sa défense, elle ne savait pas exactement quoi penser mais savait qu’elle était au moins un peu vexée qu’en plus de se voir donner un ordre celui-ci trouve un certain écho. Ca élisait domicile chez elle et en plus ça tentait de s’imposer, on aurait vraiment tout vu…
« Et puis ça t’regarde pas, d’abord. »

Mais elle retourna tout de même s’afférer pour finir ce qu’elle avait entamé, après avoir collé entre les mains de l’intruse sa bougie, qui, quitte à être là, pouvait bien se montrer un peu plus utile qu’en la pressant. Mais s’éloigner ensuite ne l’empêcha de tenter d’échanger les rôles – c’est-à-dire de reprendre celui que l’ordre des choses aurait dû lui faire tenir ! – et de vouloir lui faire cracher un bout du morceau. Rien qu’un petit bout, même un peu faux, du moment qu’il sonnait crédible et la rassurait sur le pourquoi du comment elle avait atterri là. Enfin pas trop d’entourloupes tout de même ! Ou pas trop grosse. Elle voulait bien tenter d’être crédule pour ce soir, parce que mine de rien ça l’arrangeait assez – vraiment, il y avait des choses qu’il valait mieux ignorer –, mais il ne fallait pas non plus la prendre pour la dernière des idiotes.

« Par contre,  ce que toi tu fais là c’est quand même un peu mon affaire. »

Les syllabes avaient été murmurées mais détachées avec soin, comme pour ajouter un peu de dramaturgie inutile mais typiquement italienne à la situation. Ses feuilles dans une main, elle attrapa un tabouret avec l’autre et vint le poser un peu plus loin, sous une étagère, puis y grimpa et posa tout au dessus du meuble son tribut, là où il fallait vraiment chercher pour le trouver. Heureusement que Hyacinthe était relativement productif et ne tarderait en théorie pas à pondre de quoi écouler le papier, car à force de les éparpiller dans l’atelier il aurait suffi de ne pas être trop aveugle pour tomber sur un petit paquet. Une fois les deux pieds de nouveau par terre elle reprit son siège, pour cette fois venir le planter en face de sa désormais complice non désirée et s’y asseoir, un coude posé sur la cuisse et le menton dans la paume de sa main. Ce qui, compte tenu du fait qu’il fallait lever les yeux pour les poser sur ce qui ressemblait un peu plus à une boule de suie qu’à une femme, n’était pas une position particulièrement confortable. Et à présent qu’elle s’était toute pliée elle se serait bien étirée un peu. Tant pis.

« Ca fait combien de temps que tu crèches ici ? Et puis c’est quoi ton problème ? T’as été mise à la porte ? Et t’es rentrée par où ? »
A vu de dégaine depuis un bon bout de temps déjà, si on voulait son avis. Mais ça encore ça s’arrangeait. Les problèmes qu’elle trainait avec elle peut-être un peu moins. Se rendant compte que la priorité n’était pas le comment elle en était arrivé là mais plutôt le pourquoi – certes, les deux questions se rejoignaient, mais pour mettre un peu d’ordre dans les explications aussi fallait-il en avoir dans les idées -, Pia ne lui laissa pas le temps de s’appesantir et fit un bond vers l’essentiel. Et au passage vers le haut, car en se retenant de s’exclamer trop fort elle se redressa sèchement, puis se remis sur ses pieds, pointant vers le bout de femme un index suspicieux.
« Me dis pas que t’es suivie ou une saloperie dans le genre ! J’veux pas de problème avec j’sais pas trop qui. »

D’ailleurs elle n’était pas sûre de vouloir trop savoir. Quoiqu’en fait si, elle était assez persuadée de ne pas en avoir, mais alors pas du tout, envie. Les cas où il faisait meilleur de se voiler la face ne manquaient pas et à vu de nez celui-ci en était un beau. Parce que l’intruse avait l’air bien trop dégourdi pour être honnête. D’ailleurs, à présent qu’elle y regardait avec un peu d’intention, c’était inscrit sur sa silhouette. Les jambes jamais trop droites, prêtes à bondir, les mains abimées pas uniquement par le froid, l’œil vif, ce n’était pas loin d’être le propre des gens pas bien recommandables, ça. Même si la rumeur urbaine voulait qu’ils se promènent rarement seuls, ceux de cette espèce, et surtout qu’ils ne s’embêtent pas à parlementer en cas de pépin. Pas très nette, cette affaire... Toujours était-il que les histoires de règlements de comptes et autres dettes d’honneur ou arnaque à un trop gros poisson, Pia s’en passait très volontiers.
En attendant de se voir répondre elle se demanda ce que l’excuse que lui servirait la blonde pourrait bien changer. De toute façon il faudrait qu’elle parte. Ou peut-être que charité chrétienne et pointe de pitié obligeaient elle réfléchirait à des alternatives. Mais ici c’était pas censé être un repère de nécessiteux, elle n’allait pas se mettre à accueillir tous ceux du coin ! Oh. Et puis elle n’avait pas l’air bien méchante, celle-là. Mais dans l’absolu personne n’avait l’air bien méchant, surtout quand on avait besoin de ne pas entendre crier au guet. Mince. Elle n’était vraiment pas aussi limpide qu’elle l’aurait aimé, cette histoire.
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La plume et le poing [Pv. Pia] EmptyDim 20 Nov - 23:00

Rassurée par le silence tonitruant de la baraque, la larronne accueillit avec complaisance la rebuffade et la bougie. Elle cala une hanche nonchalante contre le plan de travail et s’appliqua à diriger la faible lueur sur la scène, éclaireuse à rebours des jeux de piste d’un bien étrange petit poucet. Que fichait-elle donc ? N’importe ! L’absurdité du spectacle la divertissait de ses sombres contemplations. Regarder, regarder, regarder pour ne pas penser, pour ne pas être seul ; ce confort-là valait bien un coup de main, sans doute.
Quand le feu-follet ramena son perchoir et l’enfourcha devant elle, la flamme dansant au-dessus de son crâne sembla le couronner d’un diadème de cuivre. Bianca s’apprêtait à demander à la « princesse » si elle avait fini ses petites affaires, histoire de souffler la flamme… mais l’interrogatoire hameçonna son attention. Son affaire ? Comment sa présence pouvait-elle être « un peu son affaire » ? À quelle bande de jaloux appartenait donc la rouquine pour défendre ainsi son fief ? Qui, d’ailleurs, se serait aventuré à sévir par ici ? On n’était pas chez soi dans le beau monde, encore moins depuis l’avènement du Grand Gab – le diable le patafiole. Et sans que la gent lève-pieds en ait eu vent, en plus ?

« Ça fait combien de temps que tu crèches ici ? Et puis c’est quoi ton problème ? T’as été mise à la porte ? Et t’es rentrée par où ? »
« Par la porte, té ! » souffla Bianca interloquée. « Par où veux-tu ? J’cherchais un coin tranquille, y’avait personne ici, j’me suis installée. C’est… »

L’autre coupa court, index braqué dans une imitation de mégère propriétaire. La ladresse leva les mains.

« Oh là… Tout doux, beauté. »
La flamme branlait dangereusement à deux pouces de son visage. Bianca l’éteignit d’un souffle autoritaire.
« Tu permets ? Ton tintamarre a réveillé personne, m’enfin, faut p’t’êt’ pas tenter l’diable non plus. J’vois d’ici la gueule du propriétaire, si les voisins y disent qu’y’avait d’la lumière chez lui à c’t’heure. »

Abandonnant le bougeoir crachotant, elle plissa les yeux pour distinguer la forme de l’autre femme. L’avait pas l’air ben costaude, mais qui sait ? Pouvait lui prendre le projet de lui sauter à la gorge. On voyait des jeunots se piquer d’idées bien plus stupides.

« Ch’uis pas suivie », rassura-t-elle. La maréchaussée comptant pour du beurre, son unique proie du moment n’ayant pas affaire à lui rendre ses insistances (même si Duplessy l’avait déjà repérée, elle en collerait sa main au feu), Bianca menait, en vérité, une existence plus tranquille que jamais. L’Italienne ne partagerait probablement pas son avis si elle l’informait du détail ; mais elle n’avait pas particulièrement l’intention de l’éclairer. « J’cherchais une piaule. Un coin sans embrouilles. J’pouvais pas d’viner qu’ici, c’était chasse gardée.
De toute façon, qu’est-ce que ça t’regarde ? C’est pas comme si t’étais… »


Tout à coup, le rauquement s’évapora dans l’air. À la faveur des rayons de lune, l’Italienne verrait scintiller deux yeux ronds comme des escarbilles : par la magie du prononcé, Bianca avait mis le doigt sur sa propre méprise. Toute la ribambelle des indices comportementaux et lexicaux lui explosa à la figure. Cette aisance au milieu des curieuses machines… Cette défense ardente de ses plates-bandes… Ce déménagement insensé… Cette manière de parler des crève-la-dalle, d’envisager les locataires indésirables, de la classer – tout de go, sans raison apparente (et pour cause) – parmi les employés remerciés… Bon sang ! Comment n’avait-elle pas percuté plus tôt ?

Spoiler:

Elle l'avait vue, pourtant. Une ou deux fois, au gré de ses expéditions préliminaires dans le quartier. Mais pour la lie, les nantis se ressemblaient bien tous ; sans compter que la nuit modifiait les visages.

« Sans rire… T’es la proprio ? La femme de l’aut’, là ? Bah ça… Si j’m’attendais… »

Fourrageant dans sa tignasse, la ladresse dirigea instinctivement les yeux vers l’armoire au-dessus de laquelle la rouquine avait planqué ses feuillets. La gigue de tantôt prenait désormais une toute autre couleur – quoique guère plus lisible. Pourquoi diable la femme d’un imprimeur piquerait-elle dans les ressources de son mari ? Surtout pour trois, quatre feuilles. Sûrement, elle disposait d’autres moyens de profiter de la caisse…
L’illettrisme de Bianca lui interdisait radicalement toute conjecture pertinente à ce sujet, et l’empêchait même d’y accorder bien longtemps de l’intérêt. Arrachant les doigts de sa crinière, elle leva la paume vers l’endroit incriminé, comme pour l’effacer de son champ de vision.

« Écoute. T’as raison.  C’est pas mon affaire. Pis j’m’en fiche. Tu fais ben c’que tu veux. Moi, j’tiens juste à dormir peinarde ; et d’où j’viens, en c’moment, c’est pas trop l’ambiance. On peut pas toujours compter sur l’hospitalité des copains. »
Mais celle des inconnus, sans doute ? L’ironie de la remarque ne lui apparut guère. Ç’avait toujours été plus fort qu’elle : fallait qu’elle cause de sa bande, toujours, à tout bout de champ. Maintenant qu’elle l’avait perdue, l’obsession ne passait pas. La moindre évocation la foutait en vrac, sa voix défaillait toujours un peu, foutredieu ! elle eût préféré ne pas en parler ; n'importe. Ça lui venait comme une respiration.
Pas question de s’étendre sur le sujet, cependant. Faire pleurer dans les chaumières, merci, mais non merci !
« Pas d’danger qu’j’en invite. Copains ou pas, d’ailleurs. Savent pas où m’trouver ; et même s’ils savaient, s’raient plutôt pas tentés d’s’y radiner, si tu vois c’que j’veux dire. Du coup, toi et tes affaires, vous risquez rien d’moi. »

De son avis, la rouquine savait faire se mettre dans la panade toute seule. Un peu trop, d’ailleurs. Quoi qu’elle trafique, ça risquait d’attirer l’attention ; tu parles d’une planque rêvée… Bianca compulsa à toute vitesse le maigre inventaire des lieux qu’elle pourrait investir en urgence. Elle n’en avait encore exploré qu’un petit nombre, aucun suffisamment pour le juger sans risque ; et de toute évidence, ses repérages s’avéraient drôlement insuffisants.
D’un autre côté, la rouquine risquait de prévenir les sacrés. À moins que…

« J’avais pas l’intention d’m’éterniser. Vraiment. Quelques jours encore, et j’s’rais partie. Tu m’aurais même pas vue. Mais on peut p’t’êt’ trouver un arrangement ? Donnant donnant. J’paie toujours mes dettes. »

Ses méninges tournaient déjà à plein régime.
Bianca Albin
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