Comme tous les soirs à la même heure depuis presque deux ans, maintenant, je terminais de nettoyer et de ranger la vaisselle qui avait été utilisée durant le repas de Sa Majesté et de son entourage.
Et quand je dis vaisselle, ce n'est pas une dizaine d'assiettes, de couteaux, de fourchettes et de verres, un couteau à pain, une ou deux poêles ou casseroles et une cuillère en bois; quand je dis vaisselle, je parle d'une cinquante d'assiettes, de verres, de petites cuillères, de couteaux et de fourchettes en argent, voir en or, et je ne sais pas combien de grandes casseroles et ustensiles de cuisine rien que pour un repas. Et moi qui me plaignais, quand j'étais gosse, quand je devais ne serait-ce que ranger la vaisselle une fois qu'elle était bien propre et bien sèche...
Heureusement, que je n'ai jamais été seul à la faire, cette fameuse vaisselle d'après les repas de la cour, car il y a longtemps que j'aurais changé d'emploi, sinon. En fait, non, après réflexion, je crois que même si j’avais été engagé à ne faire que la vaisselle ou si j’avais fini par ne faire que ça, je crois que je saurais tout de même resté, même si je devais dormir dehors pour ça : l’appelle du gain est trop fort. Pas que j’aime spécialement l’argent mais il faut bien que je fasse vivre mon Osmonde, ma petite Osmonde adorée, mon rayon de soleil, tellement gentille, tellement adorable, qui n’a jamais rien demandé, et encore moins de naître.
Bon, revenons-en à nos moutons, voulez-vous ? Je disais que, comme tous les soirs, à la même heure, depuis deux ans, je terminais de nettoyer et de ranger la vaisselle qui avait été utilisée durant le repas de Sa Majesté et de son entourage lorsque j’entendis aboyer mon nom. Le maître des cuisines… que je n’appréciais gère, qu’on se le dise !
- Le frère du Roi a besoin de quelqu’un, à la salle d’Abondance, rends-toi-s-y maintenant !
Moment de surprise, dans les cuisines: les aides de cuisine n'ont généralement rien à faire dans les différents salons du palais. La surprise a moitié passée seulement, je laisse chiffons et vaisselle et quitte les cuisines sans rechigner - on ne conteste pas un ordre donné par un membre de la famille royal et ceux qui l'ont déjà fait ont très certainement payer cet affront, et, de toute façon, ce n'est pas mon genre - pour la salle de l’Abondance où j’y trouve Monsieur, le frère du Roi.
- Monsieur a demandé quelqu’un des cuisines ? Demandais-je en m’inclinant et en restant à l’entrée de la pièce, ne sachant pas si je pouvais me permettre d'approcher plus, n'ayant jamais été seul, en tête à tête, avec un personnage aussi important et dans une pièce de ce genre-là.
Il était bien habillé, comme le sont généralement tous les hommes de sa trempe. Moi, à côté, je me sentais ridicule, tout petit - déjà que je ne suis pas spécialement grand -, de part ma position de domestique et de ma tenue de cuisinier quelque peut tachée dû au travail et que je n'avais pas pris le temps de changer, de crainte de me faire taper sur les doigts si je le faisais attendre trop longtemps. Les quelques secondes qui passèrent me semblèrent des heures, je détestais être là sans savoir pourquoi j'y étais.