L'enfant
De Marguerite-Philippe du Cambout à Claude Eléonore de Roannais, le 30 mai 1644.
« Ce troisième fils comble de joie mon mari comme vous l'imaginez, ma sœur. De fait sa naissance avant l'heure nous a donné quelques frayeurs! Mais malgré des conditions rocambolesque, pensez-vous en plein voyage vers nos terres de Harcourt, l'enfantement fut sans difficulté. Alphonse est bien plus énergique et vigoureux que ses frères et déjà ses nourrices se plaignent autant de son appétit que de la force de ses hurlements!Pourtant ce gaillard est toujours souriant jamais aussi heureux que lorsqu'on le prends dans ses bras.»
D'Antoine de Colbosc à Eric de Saint Paër, le 22 janvier 1654
« Le moins que l'on puisse dire sur les fils de Cadet la perle c'est qu'ils ont hérités de plusieurs traits de leurs ancêtres. Je peux à titre d'exemple vous conter une anecdote mettant en scène le troisième fils du prince. Alphonse de Lorraine va sur ses dix ans, il me semble. En me rendant chez Henri de Lorraine j'ai malheureusement abîmé le sabot de mon cheval. Alors que je me rendais à l'écurie pour vérifier que les palefreniers avaient convenablement accomplis leur travail, j'eut la surprise de croiser une minuscule silhouette sur mon chemin. Le jeune Alphonse s'efforçait visiblement de quitter les écuries en catimini. Je le rejoignis donc, surpris de le voir ainsi esseulé, et me rendit compte qu'il était couvert de poussières et de brindilles! Il se tenait maladroitement le poignet et semblait au bord des larmes. Pourtant me voyant, il releva le menton dans ce mouvement que son père nous a tous infligé au moins une fois. J'eut toutes les peines du monde à le convaincre de me raconter ce qu'il faisait là et comment il s'était démis le poignet! Finalement il m'avoua être sorti du château durant la leçon de latin de ses ainés pour chevaucher la jument de son frère Louis. Visiblement on lui avait refusé la monte du pur-sang au prétexte qu'elle était trop fougueuse pour lui. Et là nous avons une première démonstration de l'esprit guisard du garçon qui piqué par un tel argument s'empressa de démontrer qu'il était aussi bon cavalier que son frère !Malheureusement le talent n'était guère à la hauteur des ambitions et il connut une chute humiliante. Seulement, bon sang ne saurait mentir ! Au lieu de geindre, Alphonse ramena la jument et avait pour projet de dissimuler son poignet blessé pour ne point avouer son échec ! Échec qui l’a tant humilié qu’au lieu de demander des soins, il me supplia de ne rien dire. Craignait-il la punition le menaçant ? Peut être. Redoutait il d’avouer un échec face à ses frères ? Sans le moindre doute. Voilà mon avis un des nombreux exemples de la descendance d’Henri de Lorraine, descendance qui se révèle pleine de promesse. »
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Château de Harcourt, 13 février 1655.
« Cessez de vous agiter mon fils ! »
Alphonse eut un soupir puis une grimace boudeuse avant d’aller s’asseoir près de madame sa mère alors qu’une femme de chambre la coiffait. Le petit garçon eut un regard noir pour la femme au généreux poireau sur la narine droite. Il l’aimait pas vraiment, elle avait une odeur aigre et des regards noirs ! D’ailleurs il savait que c’était à cause d’elle qu’il était convoqué ici alors que ses frères jouaient dans la neige ! Elle avait tout raconté pour le vase et la boule de neige ! C’était même pas de sa faute en vrai. Déjà la bataille c’était une idée de ce niais de Philippe ! Et cet abruti de Charles pouvait pas aller se cacher dans le château ! C’était sa faute ! Enfin la leur ! En tout cas pas la sienne ! Lui il avait fait que lancer la boule ! Sa vie était vraiment trop injuste ! Et mère qui disait rien laissant la vieille moche au poireau s’occuper d’elle.
Le petit garçon s’empara d’un pot remplie de rouge et l’observa en attendant qu’on s’intéresse à lui. Il plongea son doigt dedans et en ressortit un index incarnat. Il sourit et s’en mit un peu sur les joues pour dessiner des choses.
« Cessez cela ! »
Il grogna mais obéit à sa mère. Le pot fut reposer mais à la mauvaise place et on lui envoya un regard noir. Il alla s’appuyer contre la coiffeuse en croisant les bras et en relevant le menton comme le faisait Louis quand il imitait père. Son pied s’agita un peu sur le sol tandis qu’il attendait. Finalement le silence eut raison de sa patience et il donna un petit coup au bichon de mère qui trainait dans le coin. Qu’elle dégage cette sale bête ! Elle était moche en plus avec ses poils lui tombant dans les yeux !
« Alphonse ! »
Il eut une moue peinée et recommença à déplacer en silence le maquillage de sa mère. Cette dernière le laissa faire comprenant qu’elle ne pouvait guère plus le contrarier.
« Je vous ait vu monter hier. »
Il se tendit et tenta de se remémorer la chevauchée de la vieille. Il s’était tenue plus droit que Philippe mais avait quand même reçu une volée de reproche parce que ses mains étaient trop hautes et trop sèches sur les rênes. Machinalement il déplaça deux pots de fards en attendant le verdict.
« Vous aviez belle allure. »
Le compliment fut accueilli par un sourire d’autant plus radieux que les éloges ne lui revenaient que trop rarement, après tout il n’était ni l’ainé, ni aussi sage et brillant que Raymond. Marguerite songea qu’avec un sourire pareil, le garçon pourrait sans doute provoquer la débâcle d’une rivière, même en février.
« Mais vos versions étaient au mieux médiocres et vos précepteurs s’en sont plaint. »
Evidemment. Les comtes de Harcourt étaient normands jusque dans leurs compliments. Ces dernier n’étaient pas capable de se contenter d’un oui ou d’un non, d’un excellent ou d’un mauvais. Il fallait que ce soit l’un et l’autre en même temps. Certains y voyait une preuve de pondération, Alphonse n’y trouvait qu’une source d’agacement. On ne pouvait avoir de joie pure en ces lieux moroses et pluvieux, il fallait toujours que quelque chose vienne la diminuer. On ne goûter que les réussites mitigées, les victoires douces amères et tout se fondait dans un environnement aussi gris et froids que le ciel hivernal.
« Nous repartons pour le front dans trois jours. » déclara sa mère.
Il sursauta et se rendit compte que pendant qu’il suivait le cours de ses pensées, elle s’était assise devant un ravissant secrétaire et lisait sa correspondance. Elle le regarda et arqua un sourcil surprise et moqueuse devant la présence de ce garçon aimé mais actuellement importun. Il salua et quitta les appartements.
Il faisait froids et humide et il glissa ses mains entre les bras et les côtes pour les protéger alors qu’il se rendait dans la salle d’études où des versions l’attendaient.
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De Luc de Saint Paër à Anne de Saint Paër, 17 juillet 1655
« Le contraste est encore plus violent chez le petit Alphonse. Cet enfant occupe autant d’espace que le reste de sa fratrie, toujours rieurs, toujours souriant et toujours prêt à courir partout surtout dans les pires ennuis. Mais que son père donne un ordre et fronce le sourcil. Alors le silence se ferra. Le plus bouillant, des enfants est aussi le plus adapté à la vie militaire et sa rudesse, je pense. Il faut le voir supporter les chevauchées sans qu’une seule plainte ne franchisse ses lèvres mordues jusqu’au sang ou l’entendre aboyer des ordres imitants sergents et sénéchaux. Ce qui lui vaut un grand attachement des hommes finalement. Bruyant dans sa joie et ses agacements, il devient étrangement silencieux et inexpressif dans ses douleurs, hargneux et dur, froids comme l’acier. Puis il redevient un enfant rieur et insupportable qui fait s’arracher les cheveux de ses tuteurs dès lors que la douleur est passée. »
D’Alphonse de Lorraine à Armande de Lorraine, 18 mars 1656
« Louis est furieux et comme Louis est furieux, Philippe est ravi. Personnellement je suis heureux de quitter l’Alsace, il y fait toujours si froids et humide ! Mais Armagnac est tout aussi mortellement ennuyeux. J’aimerais que l’on se rende plus loin. Beaucoup plus loin ! La France est si étriquée, tout s’y ressemble, tout s’y passe toujours de la même façon. J’aimerais pouvoir galoper loin du latin et de l’arithmétique ! Il y a pas longtemps j’ai rencontré un homme revenant des Indes ! Qu’est ce que je ne donnerais pas pour partir avec lui… Pourquoi suis je née noble et non commerçant? J’aurais put me rendre là-bas ou dans le royaume de Siam ou au Japon dans ces contrées merveilleuses où les gens ont les yeux entièrement noirs et font tant de choses fabuleuses. Ils ont même inventé les feux d’artifices. A propos savez vous que l’on prévoit d’en tirer de merveilleux pour fêter l’anniversaire de Raymond?"
Le chevalier
D'Antoine de Colbosc à Eric de Saint Paër, le 10 juin 1661
« Le garçon n’en démords pas. Il partira pour Malte avec ou sans la bénédiction paternelle ! Après tout sa charge est payée, son titre acquis et ne lui manque plus que les caravanes. Et les caravanes, il les fera quoi qu’on en dise ! Seigneur, je n’ai jamais entendu autant de cri que lorsqu’il a tenu tête à son père. Bien entendu chacun sentait cette dispute gronder à mesure que les récriminations du prince se faisaient plus mordante. Finalement, il ne tient plus dans la vie de campement et de château. Le blâme est retenu sur celui de ses précepteurs ayant eut la mauvaise idée de lui transmettre des carnets de voyages et des textes sur des expéditions toujours plus lointaines. La messe est dite. Alphonse partira dans une semaine. »
D’Armande de Lorraine à Alphonse de Lorraine, le 11 mai 1663
« Vous manquez à tous mon frère. Pourquoi ne vous arrêtez vous pas entre deux expéditions et deux courses pour revenir auprès des votre? Vous ne connaissez même pas vos neveux et nièces. Vous pourriez repartir à Malte plus tard si vraiment les embruns de la méditerranée vous manque trop. Je dois ajouter à ma requêtes les inquiétudes que je ressens immanquablement lorsque vous parlez de vos affrontements. Et ce d’autant plus que je sais que par amour fraternel vous édulcorez votre récit. Cependant malgré vos touchantes précaution je sais la dure vie que vous menez alors que ce n’est pas nécessaire. Ne pourriez vous pas troquer cette croix et cette épée que vous n’aimez que trop pour une soutane qui vous revient tout au temps de droit ? »
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Malte, le 30 mai 1663
La pointe blanche et aigüe se teinta d'un noir aux reflets bleus et goutta un moment avant de se poser doucement sur le papier blanc. Elle demeura un moment suspendue, en équilibre précaire sans dessiner la moindre lettre. Finalement, elle fut repousser négligemment et alla salir le bureau. Deux longs doigts tâchés d'encre se portèrent jusqu'à une bague en or et la firent tourner dans un mouvement machinal. Un pied nu se mit à tapoter impatiemment le parquet tandis que les pensées commençaient à filer loin de la correspondance que l'on tentait d'entretenir. La lettre qu'il se devait d'écrire se trouvait à mi-chemin entre le récit et la justification, un exercice délicat auquel il n'aimait pas se plier. L'énonciation brutale de faits lui convenait plus mais ne saurait satisfaire son interlocutrice. Ce n'était pas un rapport dans lequel, on se contentait de lister les pertes, les morts et les blessés pour en conclure à une glorieuse victoire. Sans pouvoir s'en empêcher une main calleuse alla toucher un bandage irritant couvrant le torse. La douleur allait demeurer quelque temps et la marque elle ne partirait plus, sans doute diminuerait elle et pâlirait elle mais elle restera là.
Contrarié par son incapacité à rédiger une correspondance convenable, Alphonse repoussa sa chaise dans un raclement sonore et traversa sa chambre en deux enjambés pour se servir un verre d’eau, avec cette chaleur le vin risquait de lui être fatal. Le liquide clair coula un peu à côté de ses lèvres et il l’essuya du dos de la main. Les marques blanches de ses cicatrices apparurent à la lisière de son champ de vision et il grimaça, il les avait presque oubliés. Elles dataient d’avant Malte après tout. Un de ses premiers affrontements alors qu’il servait encore dans l’armée pour son père et non pas pour lui. Soupirant il retraversa sa chambre, envisageant au passage de mettre une chemise mais finalement l’idée ne lui convenait pas. Finalement, il alla s’accouder sur le rebord d’une fenêtre pour regarder ce qui se passait au dehors. Un soleil paresseux se couchait déjà sonnant la fin d’une journée aussi désoeuvrée que la suivante et remplie de frustrations. L’inaction lui pesait plus que tout, ce n’était pas pour relire la vie de St Augustin qu’il avait rejoint l’ordre de Malte. Il vivait pour les courses, mot fort aimable pour les actes de pirateries qui enrichissaient considérablement l’ordre, les caravanes, le service, les batailles en mer. Il ne vivait certainement pas pour passer son temps dans sa chambre à attendre qu’une stupide blessure se décide à soigner. Cela il aurait aimé pouvoir l’expliquer à sa soeur. Sa religieuse de soeur ayant grandi dans les livres et la prière ne pouvait pas le comprendre.
Il avait besoin de se battre et de mener une guerre ou une autre. Il aimait ça plus que tout. En fermant les yeux il pouvait entendre le fracas d’une bataille et sentir de nouveau son coeur battre à toute allure. La guerre était sale et puante, même en pleine mer mais elle lui convenait infiniment mieux que la presse ou la gestion d’une abbaye. Il aimait entendre les canons et les mousquets, voir un incendie se déclarait sur le navire adverse. Il adorait le son de sa lame heurtant une autre lame et chérissait ce moment où il achevait un ennemi. La fièvre des combats était une chose qu’il chérissait plus que tout et dont il ne pouvait se passer, pas pour l’instant. De façon assez surprenante les engagements en soit n’étaient pas la seule chose lui plaisant.
Même la discipline militaire à laquelle personne ne le pensait capable de se soumettre lui convenait parfaitement. Par dessus tout il appréciait le commandement qu’on lui confiait de plus en plus souvent. Il aimait prendre des décisions dans le feu de l’action, surtout quand des choix périlleux et controversés portaient des fruits au delà de ce qu’il osait espérait. Et puis il goutait la place au soleil qu’on lui laissait enfin, loin d’une horde de frères et de domestique.
Et quel soleil ! Malte n’était en rien semblable à la France et lui permettait de respirer. Rien que ce coucher de soleil était une raison suffisante. En Alsace on se contentait d’une lueur froide, si froide même dans ses reflets d’or. On apprenait à voir les choses crûment sous un éclairage blanchâtre faisant ressembler les gens à des maccabés, le monde semblait si dure et rempli de défaut. Ici, tout semblait d’or et de douceur. On plissait les yeux à cause de la douceur de la lumière qui vous enveloppait dès le matin. Le vin était plus doux, le temps plus clément et les éclats du soleil mettait en valeur les qualités et pas les défauts. Même alors qu’on le prétendait faussement convalescent, il semblait que rien ne pouvait détériorer son humeur, pas tant qu’il aurait la mer sous les yeux et que la chaleur réchaufferait sa peau.
Et pourtant alors même qu’il pensait cela, il eut conscience d’un double mensonge. Sa famille lui manquait, même la pluie froide et française lui manquait. Les lettres que chacun lui écrivait selon son envie, soyons honnête Charles était un piètre correspondant, ne suffisait pas à remplacer l’absence de ceux avec qui il avait grandi. Sa soeur le connaissait et le savait. Au fond il aurait aimer les revoir. Bon sang, même les disputes lui manquaient. Cet nostalgie grise et pluvieuse, il la mettait soigneusement de côté en se concentrant sur ce qui lui convenait plus dans sa vie au sein des hospitaliers. Puis un autre sentiment s’était insidieusement glissé dans son esprit. Une insatisfaction d’abord vague puis de plus en plus forte. L’impression que bientôt Malte serait une cage au même titre que la France. Le pressentiment que le minuscule ilot ne lui suffirait bientôt plus, pas plus que les comptoirs dans lesquels il se rendait de plus en plus souvent. Alors que son regard se portait vers les flots ce n’était plus l’apaisement qui lui venait mais un sentiment plus âcre. La vision de plus en plus amer des opportunités qu’il gâchait. Il voudrait aller plus loin. Malte avait renforcé un appétit qu’il subissait depuis l’enfance. Il voulait voir plus de chose, visiter plus d’endroit. Constantinople ! Jérusalem ! Le Caire ! Ces villes et les pays qu’elles cachaient derrière leur nom l’appelaient de plus en plus. Et encore plus loin, il se surprenait régulièrement à penser à des contrées plus lointaines sur lesquels circulaient plus de contes que de vérités. Siam le tentait depuis qu’on lui en avait parlé, comme les Indes ou cette mystérieuse Chine ayant l’audace de se croire supérieure à la France. Il voulait les voir par lui même, ne plus se contentait de mettre un nom sur une carte. Malte lui convenait, mais pour combien de temps encore ! Il eut une grimace de frustration et tapa le rebord de la fenêtre du plat de ses mains. Rien ne servait de plus se tourmenter. Il se passa la main dans les cheveux en songeant que bientôt il allait devoir les couper. Mais en attendant, rien ne servait de rester seul.
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De Camille Aldobrandini à Alessandro Caluso, le 18 novembre 1664
« Je ne nie pas ses qualités mon cher, elles sont nombreuses. Il est bien né à défaut d'être riche. Il nous a démontré plus d’une fois ses capacités de commandement. Sa décision dans l’affaire avec les turcs nous a permit une prise remarquable, bien qu’il n’aurait jamais dût passer outre les ordres de sa hiérarchie. Et cela montre bien le problème, il est capable d’une suffisance difficilement supportable et en dehors de son service cause quantité de problèmes. À titre d’exemple nous pouvons tout à fait citer le duel de la veille. Un chevalier avait insulté son frère. Reconnaissons que la chose est aisé si la moitié des bruits que l’on entends à propos du chevalier de Lorraine est vrai. Le chevalier de Harcourt pouvait donc se permettre une légère vexation au nom d’un sens familiale de bon aloi. Aller voir l’impudent et l’effrayer aurait suffit. Quel besoin avait il de lui lancer son gant à la figure en l’insultant dans une langue des plus colorées. J’interromps là mon histoire pour préciser que les insultes furent telles que plusieurs soudards rougirent en entendant celles qu’ils comprenaient. Le duel eut lieu. Il aurait put avoir le bon sens de s’arrêter au premier sang ayant ainsi prouvé sa supériorité. Mais non, il me tua net et ne montrât pas le moindre regret si on en juge par l’alcool qu’il offrit à ses amis à la suite de l’incident. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autre du caractère impulsif et ombrageux du prince de Lorraine. Aussi je vous conjure de réfléchir avant de lui accorder une nouvelle distinction et de ne pas vous laisser avoir par son naturel rieur. »
D’Alphonse de Lorraine à Armande de Lorraine, le 25 décembre 1665
« Ici les pluies qui tombent sont froides mais nous n’avons guère d’espoir de neige. Malheureusement les vents sont tels qu’il semble actuellement difficile d’envisager la moindre course d’importance et chacun se retrouve à ronger son frein en attendant le retour d’un temps plus clément. Les occupations varient mais j’en ai profiter pour lire les ouvrages que vous m’avez envoyé et me lier avec quelques italiens romains qui nous seraient apparentés. Je reçoit de plus en plus de lettre de mère qui me supplient de rentrer pour m’entretenir avec père avant son trépas. La chose semble complexe étant donné que, et je vous avoue que cela me plait, je prends de plus en plus d’importance et d’influence au sein de l’ordre. Aussi je vous demande d’adoucir cette nouvelle auprès de notre mère et d’adoucir les sermons sur la piété filial que vous ne manquerez point de m’envoyer."
Le prince
D’Armande de Lorraine à Alphonse de Lorraine, le 6 mars 1666 :
« Pour la dernière fois mon frère, je vous en conjure revenez auprès de notre père et soyez présent lorsqu’il rendra son dernier souffle. C’est votre devoir de fils et vous ne pouvez plus vous dissimulez derrière les devoirs que vous avez admirablement accompli sur cette île si lointaine. En tant que fils vous devez rendre hommage à votre père, en tant que fils vous devez être au côté de votre mère et vous avez aussi des devoirs en temps que frère. Je vous le dis pour la dernière fois revenez ! »
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Paris, Hotel de Guise, le 30 mars 1666
Le cheval déboula dans la cour des offices avec un fracas de sabots et son cavalier le força à passer du galop à l’arrêt avec un coup des plus secs sur les rênes. La monture broncha mais s’exécuta alors que son maitre sauter à terre dans un grand mouvement de cape. Plusieurs soldats échangèrent un regard surpris alors qu’il commençait à monter les marches de la terrasse haute, les talons de ses bottes crottées claquant gaiement sur le marbre qu’elles salissaient allègrement. Les visiteurs étaient nombreux à l’hôtel de Guise mais jamais le mardi et encore moins alors que seule la duchesse était présente et malade. De plus l’impudent bien que vaguement familier pour certains gardes ne ressemblait guère à un des nombreux habitués qui débarquaient à toute heure dans la cour. Aussi ce fut l’un des sergents présentant le mieux qui choisit de venir demander à l’inconnu s’il avait besoin d’aide. Ce dernier releva le haut de son chapeau dévoilant deux yeux d’une clarté surprenante et répondit d’une voix joyeuse.
«
J’avoue ne plus très bien me souvenir de l’emplacement du salon. Et mon cheval aura besoin d’eau. »
Il réfléchit un moment en agitant un index devant ses lèvres avant de conclure.
«
Et il faudrait trouver un endroit où loger mes hommes, mais je ne doute pas que vous en soyez capable. De plus ils ne sont que 4. Mon valet m’a abandonné avant même que je ne mette un pieds sur le bon. »
Puis il pencha la tête de côté avec le sourire du maitre content d’avoir donné des ordres adéquats à un serviteur un peu lent mais finalement aimé. Il attendit un moment un de ses sourcils s’élevant de façon incroyable et creusant de nouvelles rides sur son front. Le sergent dévisagea l’inconnu le trouvant étrangement familier avec ses cheveux bouclés et son visage mince, mais ne parvenant pas à comprendre pourquoi. Finalement il demanda :
«
Pardonnez moi monseigneur, mais est ce que madame la princesse de Guise vous attends ? »
L’autre eut une expression surprise puis répondit dans un haussement d’épaule.
«
Heureusement non, sinon ma tante aurait au moins eut la politesse de venir m’accueillir n’est ce pas? »
Ce fut un domestique antédiluvien que tout le monde soupçonnait d’espionnage pour le compte d’Henri de Lorraine qui sauva la situation en s’inclinant devant l’arrivant et en prononçant d’une voix qui réussissait l’exploit d’être à la fois tremblante d’émotion et pisse vinaigre.
«
Mon prince ! Cela fait si longtemps. »
Alphonse de Lorraine le regarda en arquant un sourcil clairement moqueur tandis que ses lèvres se pinçaient de mépris. Soudainement aucun témoin de la scène ne put douter de son affiliation.
«
Proportionnellement à votre âge pas tant que ça. »
Puis il entreprit de le contourner en retirant son chapeau pour laisser apparaitre une chevelure bouclée. Il regardait autour de lui en avançant à une allure particulièrement rapide confondant de toute évidence l’hôtel avec une de ses galères. Sans un regards pour le domestique il énonça.
«
Je vais me laver. Je pue affreusement. Faites donc préparer un bain dans mes appartements, et je n’aimerais pas frotter mon dos moi-même. »
Le domestique tenta
«
Monseigneur, personne n’a donné d’ordre concernant votre arrivée. »
Alphonse acquiesça distraitement en lançant sa cape au hasard, cette dernière finissant par atterrir à la figure d’un page qui avait eut la mauvaise idée de passer par là.
«
Ah oui. Je ne les ait pas prévenu… Mais vous avez de l’eau non? »
Il continuait d’avancer tandis que l’on glissait timidement…
«
Mais vos appartement ont été attribué à madame de… »
Il s’arrêta entre deux marches et regarda celui de la horde de domestique qui tentait de le contenir ayant eut le culot d’essayer de l’informer.
«
Faites les préparer. » ordonna-t-il d’une voix sèche « Et lavez les à grande eau. L’idée que quelqu’un ait couché dans ma chambre est révulsante »Il continuait son parcours sans but précis tandis que l’on tentait une fois de plus de le faire revenir dans le monde réel.
« Mais les affaires de madame… »Il eut un geste de mépris souverain.
« Mettez les dans les combles pour qu’elles n’encombrent pas le passage et cessez de me déranger avec ces menus détails. C’est exaspérant ! »Il s’arrêta un moment comme frappé par une réalisation et tous se mirent à espérer un court moment que le prince allait prendre conscience de ce qu’il faisait.
« Mes vêtements me suivent de loin. Donnez moi les affaires de Raymond pour me changer… D’ailleurs je me laverais dans sa chambre en attendant que la mienne soit prête. »Ses victimes retinrent péniblement leur grimace en imaginant la réaction du prince lorsqu’il découvrirait qu’on s’était servi dans sa garde robe, même pour habiller son grand frère fraichement débarqué.
Alphonse continuait d’avancer.
« A propos, il fait toujours froids comme ça à Paris? C’est ignoble. »Il marqua une pause
«Après mon bain, je prendrais une collation dans le petit salon.»Il ajouta encore un peu
« Prévenez ma tante mais pas mes frères, autant leur faire la surprise.»Enfin il acheva avec un mélange d’exaspération et de dédain
«Je n’ai besoin que d’une personne pour me montrer mon chemin et elle ne peut le faire que si elle marche devant. »*************
De Marie de Guise à Henriette, abbesse de Soisson
« Et donc voilà mon neveu qui soudainement apparait dans mon hôtel ! S’attendant naturellement à ce que des appartements lui soit donnés dans l’heure. Le pire étant que j’ignore comment mais il a réussit à m’amadouer et à me convaincre de les lui laisser, louvoyant entre les remontrances que je serais tout à fait autoriser à lui faire. Quoiqu’il en soit je lui ait demandé pourquoi nous ignorions son arrivée. Il m’a alors expliqué qu’il ne s’était décidé qu’après une lettre de sa soeur sans que personne ne puisse prendre des dispositions pour nous prévenir. Il a ajouté qu’il a galopé pour ainsi dire sans s’arrêter depuis Toulon et qu’aucun messager n’aurait put nous rejoindre plus vite qu’il ne l’a fait. Ses explications me semblent plausibles, quoiqu’elles ne reflètent pas le comportement que l’on pourrait attendre d’un homme de sa condition. De fait je le soupçonne d’avoir tout mit en oeuvre pour qu’aucun bruit concernant son arrivée ne filtre. La preuve en est qu’il a farouchement refusé que je prévienne ses frères de son arrivée. Ils ne vont d’ailleurs pas tardé à le découvrir et je ne manquerais pas de vous racontez ce qui se produira.
»D’Alphonse de Lorraine à Armande de Lorraine
« Suivant vos souhaits, ma soeur, je suis retourné en France et je rejoindrais Royaumont en même temps que mes frères de façon à présenter un hommage mérité à notre père. À la suite de quoi j’ignore encore combien de temps je resterais et où je resterais. Je ne manquerais pas de vous tenir au courant et j’entretiendrais notre correspondance avec le même soin à Paris qu’à Malte.
Sincèrement,
Votre très dévoué et aimant frère, Alphonse »