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 Requiem nocturne. - Pv Marie-M de Mortemart


Requiem nocturne. - Pv Marie-M de Mortemart EmptyDim 26 Juil - 15:21

Putain, putain, Seigneur, sauve-moi...

Clovis n'avait jamais été un type très religieux. Il était même le premier à se moquer des superstitieux, de tout ceux qui se signaient pour un oui ou pour un non. Mais là, c'était bien la douzième fois en moins de cinq minutes qu'il implorait le Tout Puissant d'épargner sa sale trogne. Fallait dire que le temps lui-même était d'humeur biblique. Apocalyptique même. Après une semaine d'une chaleur étouffante, anormale même pour un mois de mai, un orage avait fini par éclater, comme un rugissement. La pluie vous cinglait le visage, trempant jusqu'aux os ceux assez fous pour rester dehors, et un vent à décorner un bœuf manquait parfois de peu de vous mettre à terre. Les nuages s'amoncelaient dans le ciel nocturne, masquant la lune. Les éclairs zébraient parfois le ciel, projetant une lumière blanche, crue, sur les toits et les ruelles de Paris.

Sauve-moi mon Dieu, les laisse pas me chopper, aide-moi putain...

Malgré le vent rugissant dans ses oreilles, il pouvait entendre leurs pas marteler les pavés derrière lui, et leurs exclamations rageuses, mortelles. Au détour d'une ruelle il avait osé se retourner. Ils n'étaient pas tout à fait sur ses talons, mais presque. S'il s'arrêtait, s'il soufflait ne serait-ce que quelques secondes, ils seraient sur lui, et s'en serait fini. La peur lui donnait des ailes, ignorant le vent, ignorant la pluie, il courait comme un dératé dans les ruelles et les allées, trop paniqué pour réfléchir, pour se repérer. Lui qui se vantait de connaître les rues comme sa poche, il était complètement perdu et aurait bien eu du mal à s'expliquer comment il était arrivé là. Tout ce qu'il espérait, c'était de ne pas s'engouffrer dans un cul-de-sac, ou de ne pas glisser dans une des flaques qui inondaient les rues.

A un moment il pensa les avoir semé. Mais ils étaient tout près, il le sentait, il lui fallait se cacher. Un éclair illumina la nuit, le tonnerre poussa un rugissement à en crever les tympans. Regardant autour de lui, il vit qu'il était dans une petite allée longeant l'enceinte d'un grand bâtiment. Levant les yeux, il vit une croix sur le faîte d'un des toits. Une église ? Non, un couvent. Sa fuite éperdue l'avait mené derrière l'Abbaye-aux-Bois.

Des voix s'élevèrent de nouveau. Ils seraient au bout de l'allée dans un instant. Il couru, longeant le haut mur de pierre, ses pensées s'emballant dans sa tête, adressant des suppliques emmêlées et décousues aux cieux déchaînés. Il cru que son cœur allait exploser quand Dieu sembla enfin se décider à exaucer ses prières, sans doute pour avoir enfin la paix. L'un des portails perçant l'enceinte était ouvert, le lourd battant de bois grinçant sur ses gonds.

Merci mon Dieu !

Avait-on oublié de le verrouiller ? Était-ce le vent qui l'avait ouvert, ou bien la main divine ? Clovis s'en fichait, il fonça dans l'ouverture, y voyant le Salut. Mais au moment où il franchissait le portail, du coin de l’œil, il apercevait les silhouettes de ses poursuivants débouler dans l'allée. L'avaient-ils vu entrer ? Pas moyen de le savoir, et inutile de rester là à se poser la question. Il se trouvait dans la cour du couvent. Il prît à peine le temps de regarder autour de lui avant de se décider à foncer tout droit vers le seul bâtiment dont les fenêtres étaient éclairées. Enfin, pas vraiment des fenêtres, plutôt des vitraux. C'était la chapelle. En s'approchant, on pouvait entendre un chœur de voix féminines chanter des cantiques. Il s'écrasa contre la porte et se mit à tambouriner des deux poings.

"Ouvrez-moi ! Par pitié ouvrez ! Asile ! Asile ! Ouvrez bordel !" beugla-t-il.

Les chants se turent. Et alors qu'il s'attendait à sentir une main lui saisir l'épaule et lui planter une lame dans le dos, il entendît enfin le bruit merveilleux du loquet qu'on soulevait. La porte s'entrouvrît juste assez pour laisser apparaître une main tenant une bougie, et derrière, le visage angoissé d'une nonne. La flamme de la bougie s'éteignît presque aussitôt, soufflée par le vent. D'un coup d'épaule donné avec la force du désespoir, Clovis força le passage, envoyant valdinguer la pauvre bonne sœur, et se rua à l'intérieur avant de claquer la porte dans son dos. Il resta immobile pendant quelques secondes qui semblèrent une éternité, les mains plaquées sur le panneau de bois de la porte. Il finit par réaliser qu'il en oubliait de respirer. Poussant un profond soupir, il prit soudain conscience des éclats de voix autour de lui. Se serrant les unes contre les autres au pied de l'autel, les bonnes sœurs le regardaient avec des yeux ronds, poussant des exclamations apeurées. Celle qu'il avait poussée en entrant était par terre. Elle se redressa et se mit à reculer précipitamment en rampant sur ses fesses. Son voile s'était détaché et des mèches emmêlées lui tombaient dans les yeux. Elle regarda cet homme aux yeux fous, ruisselant, la chemise sale et déchirée, dont le tissu trempé collait à sa peau, ses cheveux filasses plaqués sur son visage maigre à la barbe hirsute. Elle hurla.

Clovis se mît à farfouiller dans sa ceinture, y trouva la crosse du petit pistolet qui y était glissé, le tira et le pointa sur elle, puis sur les autres sœurs.

"Ta gueule ! Fermez toutes vos gueules !" beugla-t-il sans réaliser qu'il hurlait plus fort qu'elles.

Il attrapa la nonne à terre par le col, la souleva et la poussa vers les autres, avançant vers le centre de la chapelle. Puis il s'arrêta brusquement, comme frappé par la foudre. Le loquet... Il ne l'avait pas fermé. Il se retourna, fit un pas vers la porte. Celle-ci s'ouvrit avec un craquement effroyable. Ils l'avaient vu entrer dans la cour finalement. Comme dans une vision de cauchemar, les silhouettes entrèrent juste au moment où un éclair illumina le paysage dans leur dos.

Putain Seigneur, t'es qu'un fils de pute...

Il brandit son pistolet vers eux, pressa la gâchette... Et rien. La poudre avait pris l'eau. Il y eu une détonation cependant, qui aurait pu passer pour le tonnerre si l'épaule de Clovis n'avait pas soudain comme explosé dans une gerbe de sang. L'un de ses agresseur avait fait feu, et sa poudre à lui était restée sèche.

Clovis sentît que ses pieds ne touchaient plus le sol. Comme pour un tout petit vol, son corps fut projeté dans les airs. La reprise de contact avec les dalles de la chapelle fut rude, alors qu'il s'écrasait de tout son long. Les nonnes hurlèrent. Comme à travers un voile, il vit les silhouettes vers la porte. Elles étaient quatre, et l'une d'elles avait la main tendue, tenant un pistolet encore fumant. L'un des hommes arracha l'arme des mains du tireur, et la tenant par le canon, frappa ce dernier d'un coup de crosse en plein visage, si fort que celui-ci se retrouva à genoux.

"Imbécile !" rugit une voix aux accents sauvage. "J'ai dit qu'il me le fallait vivant ! S'il est crevé, je décore cette chapelle avec tes tripes !"

Il y avait tant de violence dans cette voix que les cris semblèrent geler sur les lèvres des bonnes sœurs. La vue de Clovis se voila quelques secondes, il s'était cogné la tête en tombant, et une douleur intense lui cuisait l'épaule. Il entendit des pas sur le dallage. Quand le voile se dissipa enfin, une silhouette se penchait sur lui. Des longs cheveux blonds, sales et trempés, tombaient sur son visage. L'homme leva une main et les plaqua en arrière, révélant une barbe courte, et des yeux qui semblaient sortir d'un cauchemar. L'un était blanc et mort, barré par une cicatrice. L'autre était pâle, d'un bleu-gris glacial et perçant. Un sourire cruel étira ses lèvres. Des gouttes de pluie perlaient de ses cheveux et venaient s'écraser sur le visage de l'homme à terre.

"Salut Clovis, tu te rappelles de moi ?"

Clovis s'en rappelait. Il réalisa soudain qu'il était en train de se pisser dessus.
Iain Kelly
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Requiem nocturne. - Pv Marie-M de Mortemart EmptySam 1 Aoû - 16:54

« In finem in carminibus psalmus David
Cum invocarem exaudivit me Deus iustitiae meae in tribulatione dilatasti mihi miserere mei et exaudi orationem meam… »

Porté par les voix pures des religieuses, le psaume montait vers les voûtes de la chapelle. Elles chantaient a capella, mais rien n’étant trop beau pour la louange divine, elles s’étaient divisées, comme chaque soir, en plusieurs voix, qui créaient une mélodie riche et non dénuée de puissance.  Les piliers de pierre fine –la chapelle était un pur produit de l’architecture gothique, bien plus sobre et simple qu’une cathédrale ou qu’une basilique, mais tout de même riche de ces lignes pures et hardies propre à cette mouvance- paraissaient résonner de la mélopée dirigée magistralement par Sœur Marie de la Rédemption, à qui revenait ordinairement le soin de la musique.

« Filii hominum usquequo gravi corde ut quid diligitis vanitatem et quaeritis mendacium diapsalma
Et scitote quoniam mirificavit Dominus sanctum suum Dominus exaudiet me cum clamavero ad eum… »


Il y eut un grondement sourd, un craquement sinistre comme le ciel se déchirait enfin. L’orage éclatait, après une semaine de chaleur extraordinaire en cette saison, qui avait laissé s’installer une atmosphère lourde et saturée. Derrière les hautes verrières aux dominantes de bleu, sombres et ternes dans la nuit, un éclair zébra la voûte céleste, illuminant l’espace d’un instant l’intérieur de la chapelle de blanc. Le psaume ne fut même pas interrompu, il en aurait fallu plus pour distraire les couventines qu’un simple orage, tout impressionnant que puisse être ce phénomène ! Et si Sœur Clotilde sursauta ostensiblement, ce n’était jamais que sous l’effet de la surprise –du moins c’est ce qu’elle essaya de faire croire. Marie-Madeleine, au bout du banc, leva les yeux vers le vitrail central, qui dominait le maître-autel : une pluie violente frappait le verre, portée par un vent furieux, qui s’était levé en un instant. Mais entre les hauts murs de pierre nue, elle se sentait plus à l’abri qu’en n’importe quel autre lieu. Baissant à nouveau son regard, elle le promena sur les petites flammes que chacune des religieuses portait entre ses doigts –pour cet office, le dernier du jour, qui survenait trop tard pour que le Soleil éclaire encore le lieu, chacune recevait un long et mince cierge blanc, et les cierges étaient renouvelés tous les trois jours.

« Irascimini et nolite peccare quae dictis in cordibus vestris in cubilibus vestris conpugimini diapsalma
Sacrificate sacrificium iustitiae et sperate in Domino multi dicunt quis ostendet nobis bona…. »


Le chant, un instant affaibli, avait repris de plus belle, faisant concurrence aux éléments déchaînés. Avec assurance et justesse elles louaient le Seigneur selon les termes qu’elles connaissaient toutes par cœur à force de chaque soir les répéter. Et si certaines ignoraient sans doute le sens de ce qu’elles pouvaient dire, puisque toutes ne connaissaient pas le latin, elles en sentaient toute la justesse et la grandeur….

« Signatum est super nos lumenvultus tui Domine dedisti laetitiam in corde meo
A fructu frumenti et vini et olei sui multiplicati sunt… »


BAM BAM BLAAAAM
« OUVREZ MOI ! PAR PITIE OUVREZ ! ASILE ! ASILE ! OUVREZ BORDEL ! »


Les hurlements, rauques, sauvages, désespérés, couvrirent le cantique, éclatant soudainement avec une force telle qu’on aurait pu croire à une manifestation surnaturelle. Toutes se turent, les cierges vacillèrent comme elles se retournaient, d’un seul mouvement, onde noire, vers la lourde porte qui tremblait au rythme des coups sourds que l’on assénait contre le bois. Il y eut un ou deux cris de terreur, portés par des voix plaintives. Aucune n’osait se décider à bouger la première. Enfin, la Prieure –tenant de l’autorité en l’absence de la Mère Supérieure qui n’avait toujours pas été remplacée fit un geste de la main.

« Eh bien, eh bien, mes filles, et la charité ? Nous devons asile à tous ceux qui le demandent !. »


Une des sœurs s’empressa d’aller ouvrir la porte, avançant à petits pas rapides qui raisonnaient sous les voûtes de la chapelle parfaitement silencieuse. On pouvait presque entendre le souffle irrégulier et trop rapide des sœurs effarées. La porte s’ouvrit dans un grincement que couvrit un énième coup de tonnerre –la scène, caricaturale, était digne d’un mauvais roman, et à partie de là tout alla très vite. Un homme dépenaillé entra en furie dans la chapelle, envoyant valser la sœur, le cierge, et claquant la porte derrière lui, avant de se jeter sur la malheureuse qui avait été ouvrir la porte, et de tirer un pistolet. Sale, hagard, maigre, hirsute, les yeux fous, les gestes saccadés, la face agitée et l’air prêt à se servir de son arme à la moindre incartade il les en menaça. Il y eut des cris apeurés, des larmes, des réactions de panique chez les sœurs –vite reprises en main par la ferme Prieure.

« Allons, mes filles, allons ! Un peu de dignité ! Remettez-vous en donc aux volontés de Notre Seigneur, qui ne laissera pas j’en suis sûre égorger ses pieuses enfants comme du bétail ! »

Ayant ainsi prêché, elle se tourna vers l’homme.

« Et quant à vous mon fils, rangez donc cette arme, c’est une impiété bien terrible que de menacer qui que ce soit avec de telles abominations que ce pistolet dans la maison du Seigneur. Que craignez-vous donc ?... »

Elle avait à peine achevé sa phrase que la porte éclata dans le dos du misérable, livrant passage non pas à une, mais à deux, puis quatre silhouettes trapues, qu’elles eurent à peine le temps de distinguer avant qu’elles ne se répandent en éventail autour du « réfugié » qui actionnait désespérément la gâchette de son pistolet, sans aucun résultat –ce dont on ne savait plus parmi les sœurs s’il fallait se réjouir ou se désoler. Sœur Louise hasarda avec espoir qu’il s’agissait peut-être d’agents de l’ordre public, puis hurla à en percer les tympans de toutes ses congénères lorsque leur quémandeur d’asile s’effondra, entraînant dans sa chute la malheureuse religieuse évanouie sous l’effet de la terreur –ce qui fit craindre à ses congénères qu’elle n’ait été touchée. La Prieure fit reculer en bon ordre ses filles, se saisit de la grande croix, qu’elle tint devant elle comme elle aurait fait d’une pique, ses yeux flambant de détermination et de défi –composant un tableau vivant absolument fantaisiste. Marie-Madeleine, au milieu de ses consœurs, avait réussi à garder son calme et son sang-froid, mais ses mains tremblaient, et sa respiration était saccadée. Au moins n’en était-elle pas comme certaines au point de pousser de petits cris d’orfraie ou de se jeter à genoux sur les dalles froide.

L’une des silhouettes –celle u chef à ce qu’il semblait- se pencha au dessus du malheureux étendu à terre. Il avait certes menacé les religieuses, mais à un contre quatre dans ce qui semblait bien être une lutte interne entre gens de peu de morale (et de peu de foi par la même occasion), ces dernières prirent vite leur parti, celui d’éviter un bain de sang qui paraissait inévitable.

La Prieure s’élança en avant, brandissant son crucifix comme un étendard, étendant ses bras dans un geste universellement pacificateur.

« Assez ! Assez ! Que le sacrilège de verser le sang dans la maison du Seigneur ne soit pas commis ! Moi vivante vous ne repeindrez cette chapelle avec les entrailles de personne, entendez-vous ? Cessez cela immédiatement ! »


Marie-Madeleine se retourna vers Hélène de Dorimont, qui fixait la scène comme hypnotisée. Elle la secoua doucement par sa manche. Son amie tourna vers elle un regard lucide, dans un visage angoissé.

« Elle se fera tuer »
, murmura-t-elle.

Les deux s’élancèrent de part et d’autre de la Prieure, tremblantes mais résolues. Cette dernière, aussi ferme qu’un exorciste devant un possédé, fixait de son regard noir les belligérants.

« C’est ici une maison d’asile, un lieu sacré et de paix !!! Retirez-vous ou bien réconciliez-vous ! »

Le discours de l’abbesse, ses attitudes bravaches, les religieuses apeurées en fond de la scène (dont certaines parmi les plus âgées commençaient à se reprendre et à ranimer le courage et la fermeté des plus inexpérimentées) l’orage qui continuait de gronder, les silhouettes menaçantes et sales, l’homme à terre, autour duquel une large tache s’élargissait, la silhouette molle et sombre de la pauvre sœur, étendue à terre comme un corbeau foudroyé, tout cela était parfaitement ridicule à force d’ajouts et de surcouches. Et pourtant, la situation était tragique. Sans doute la Prieure n’avait pas la réaction appropriée, et sans doute aussi le savait-elle, mais comment aurait-elle su la bonne manière de réagir ? A l’abri dans les murs de son couvent, ne sortant jamais ou presque de la paisible enceinte, elle se trouvait dramatiquement dépourvue devant une telle circonstance, mais ayant charge d’âme, se devait de faire quelque chose et peu importait quoi.

Du coin de l’œil Marie-Madeleine aperçut une des jeunes sœurs se précipiter vers la porte de la petite sacristie après avoir parlé à voix très basse avec Sœur Angélique –l’une des plus âgées, et la détentrice du sacro-saint trousseau de clés dont elle la vit tirer une petite clé ternie et la confier à la jeune fille.  Sans doute comptait-elle aller chercher de l’aide. Peu à peu les sœurs reprenaient leur calme et leurs facultés de réaction. Elle en fut soulagée.
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Requiem nocturne. - Pv Marie-M de Mortemart EmptyDim 13 Sep - 13:08

La course sous la pluie l'avait passablement échauffé, et alors qu'il sentait monter en lui l'excitation cruelle du chasseur qui vient d'acculer sa proie, il dut lutter contre la tentation de porter le coup de grâce, se réservant ce plaisir pour plus tard. Iain promena son regard sur l'épaule déchirée de l'homme à terre et émit un reniflement contrarié. Il avait vu suffisamment de blessure de ce type dans sa vie pour savoir au premier coup d’œil que Clovis n'en réchapperait pas. Il pissait le sang, et toute tentative pour le déplacer ne ferait que hâter l'inévitable. Iain se redressa en lançant un regard noir à Dussart, qui blêmit en gardant une main pressée sur son nez ensanglanté.

L'excitation de la traque commençait à se calmer dans l'esprit de Iain, et il se tourna vers la vieille nonne qui s'approchait, brandissant son crucifix. La scène l'aurait amusé dans d'autres circonstances. Deux femmes plus jeunes avaient rejoint leur aînée, avec sur le visage un air bien plus sage et lucide que la vioque. Les jolis chiots s'inquiétaient pour la vieille carne, à juste titre.

Iain posa sur le trio son regard froid et reptilien. Ses narines se dilatèrent, comme dérangées par une odeur nauséabonde. Une envie de sang commença à affluer en lui. La vieille femme l'échauffait. Il fit un pas, puis un autre, posant sa main sur le manche de son coutelas, fixant la nonne comme un boucher fixant un mouton avant de l'égorger. L'acier crissa contre le fourreau alors qu'il dégainait l'arme avec une lenteur calculée. Encore deux, trois pas, et le visage de la vieille chouette s'ornerait d'un grand sourire écarlate.

Un bruit et un mouvement au coin de sa vision le tira de sa transe meurtrière. Une jeune nonne venait d'ouvrir une porte au fond de la chapelle et de s'y engouffrer. Iain poussa un sifflement strident, attirant l'attention de ses hommes comme un maître chien le ferait pour ses molosses. Gravel fut le premier à réagir et se rua vers la porte.

"Ramène la entière et intacte !" lui intima Iain. Gravel hocha la tête d'un air martial - et un peu déçu - et s'engouffra dans l'ouverture à la suite de la nonne. Puis l'Irlandais se tourna vers les deux autres. "Bloquez les portes, gardez ses jolies cailles à l’œil. Et faites en sorte que ce chien ne se vide pas trop vite, j'ai des questions à lui poser."

Iain reporta son attention sur la vieille et sourit. L'incident lui avait éveillé l'esprit, et avait ramené la réflexion devant l'envie primaire d'étriper la bonne femme. Il lâcha la poignée de son arme qui retomba dans le fourreau. D'un geste vif, il empoigna le long manche du crucifix et approcha lentement son visage de celui de la vieille. Il commença à parler d'une voix qui tenait plus du murmure, mais dont les mots s'élevaient aussi clairement qu'un cantique dans le silence pesant qui s'était abattu sur la chapelle, et que seuls les bruits de la tempête au dehors et les gémissements de Clovis perturbaient.

"Un jour mes hommes et moi on a occupé une ferme. On venait de faire un joli coup et on avait besoin de la grange pour cacher le butin. Y avait le fermier, sa femme et ses deux fils. Ils devaient avoir quoi... neuf et treize ans ? L'idiot a voulu jouer les héros quand mes gars on commencé à s'amuser avec sa donzelle. Il m'en a même blessé un, et son fils aîné s'y est mis aussi. J'étais pas de très bonne humeur ce jour là, et c'était pas vraiment le bon moment pour m'emmerder. Tu sais ce que j'ai fait ? Je l'ai forcé à regarder pendant que cinq de mes gars passaient sur sa bougresse, puis je l'ai emmené à l'étable avec ses deux garçons. J'ai commencé par le plus âgé des deux. Pendant que le papa regardait, je lui ai foutu la tête dans l'abreuvoir et l'est maintenu jusqu'à ce qu'il arrête de gigoter. Puis j'ai fait pareil avec le plus petit. Si t'avais entendu comment le gentil fermier hurlait ! J'ai pris tout mon temps, j'étais pas pressé." Iain marqua une pause, contempla l'effroi dans le regard de la vieille. Il braquait ses yeux dans les siens, aussi immobiles que ceux d'un serpent, ils ne cillaient pas.

"Après ça on a enfermé le type dans la cave avec sa femme. Avant de fermer la porte, je lui ai donné ma dague. Je suis comme ça moi, j'ai bon cœur. On les a laissés comme ça, tranquilles, toute la nuit. Puis le lendemain, on a ouvert. On pourrait s'attendre à ce qu'il se soit jeté sur nous avec ma lame à la main ? Non. Il avait poignardé sa donzelle en plein cœur et s'était ouvert la gorge ensuite."

Iain promena son regard sur les deux jeunes nonnes qui se tenaient aux côtés de la plus âgée. Il approcha davantage son visage.

"Il se trouve que je suis pas de très bonne humeur ce soir non plus. Alors si tu crois que j'aurai la moindre hésitation à laisser mes bas instincts s'exprimer, avec toi ou avec tes jolies cailles, réfléchis-y à deux fois. L'envie pourrait me prendre d'utiliser ce grand bâton là que tu tiens et de m'en servir pour vous faire découvrir les joies auxquelles vous êtes sensées avoir renoncé. Vous êtes les épouses du Christ ? Je suis sûr qu'il vous baise pas souvent. Une pitié, mais moi je peux arranger ça."

Iain sourit de toutes ses dents jaunies, et d'un coup sec, il arracha le crucifix des mains de la vieille et le brisa sur son genoux. Puis il brandit l'un des tronçons sous son nez.

"Retourne avec ta volaille et fait les chanter, fort, et juste. J'ai horreur des fausses notes. Si vous êtes sages, demain vous ne vous rappellerez de tout ça que comme d'un cauchemar collectif. Une vision divine si tu préfères. Je n'ai pas d'intérêt particulier à vous faire couiner et saigner. Ça ferait désordre, et bien que ça ne me déplairait pas, j'ai un fort besoin de discrétion ces derniers temps. Si je pouvais déplacer ce chien sans qu'il me claque entre les pattes, on ne serait déjà plus là. Mais ton Dieu aime bien nous faire des farces pas vrai ? Alors on va tous devoir cohabiter encore quelque temps. Fais en sorte que tes cailles se tiennent à carreau et tout se passera bien."

La porte du fond s'ouvrit de nouveau, et Gravel revînt en poussant la jeune nonne fuyarde devant lui. Le voile de la femme avait disparu, et ses cheveux tombaient en cascade sur son visage épouvanté, mais visiblement intact. Gravel, lui, arborait un air renfrogné et de petites lignes rouges sur la joue. Le chaton avait des griffes. Il poussa la jeunette vers le chœur où elle se rua en sanglots dans les bras de ses sœurs. Puis il referma la porte derrière lui, la verrouilla avec une petite clé qu'il mit ensuite dans sa poche, et se planta là, comme un cerbère bloquant cette issue. Iain se tourna une dernière fois vers la vieille.

"Vous devriez me remercier, bande d'ingrates. Sans Diable, pas de Dieu. Vous pensez que tous ces crétins de bigots viendraient chercher refuge auprès de votre fiancé là haut..." il désigna d'un mouvement de tête le Jésus en Croix au dessus de l'autel, "... si ce n'était pas par crainte de monstres dans mon genre ? Je leur donne un petit aperçu d'Enfer. On fait une belle équipe en vérité, votre Pape et moi. S'il y avait une justice en ce monde, il devrait même me verser un salaire."

Alors qu'elles reculaient, il se tourna soudain vers l'une des deux jeunes femmes qui accompagnaient la vioque. Il lui attrapa le bras, et planta son regard dans le sien. Elle avait de jolis yeux de biche. Iain se pencha et renifla. Elle sentait bon. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire.

"Pas toi ma belle. J'ai besoin de tes mains délicates."

Il la tira vers Clovis, qui gisait toujours par terre. C'était Dussart qui s'était occupé de contenir l'hémorragie, par crainte que le bougre ne trépasse avant que Iain n'ait pu l'interroger, et que la colère de l'Irlandais ne retombe sur lui. D'un signe de tête autoritaire, Iain l'envoya rejoindre les deux autres à la surveillance du groupe de sœurs, dont les voix éraillées par la peur commencèrent à s'élever de nouveau. Iain posa un genoux à terre près du blessé, tira la jolie bonne sœur pour la faire s'agenouiller également, et lui arracha son voile, libérant ses cheveux. Il admira un temps la beauté pure et virginale de la donzelle. Iain était un homme sensible à la beauté, même s'il avait sa propre manière de lui rendre hommage. Il lui fourra le voile dans les mains, avant de les placer avec rudesse sur l'épaule de Clovis, qui poussa un gémissement.

"Appuie fort là dessus. Le but du jeu, c'est de faire en sorte qu'il lui reste assez de sang dans les artères pour qu'il puisse parler. Tu vas pas tourner de l’œil, hein ma jolie ?" Il leva une main et caressa les beaux cheveux de la nonne avant de se pencher sur le blessé.

"A nous deux Clovis. T'avise pas de crever tout de suite. Tu restes calme et tu parles que quand je te le dis, d'accord ? Toi et moi on sait que tu vas mourir ce soir. Ça peut se passer en douceur, tout comme ça peut être particulièrement pénible. Tu vas parler, parce que sinon je vais te faire très mal. Et tu vas dire la vérité, car si tu mens, rappelle toi que je sais où vit ta chère vieille mère, et dans quelle ruelle sordide ta petite sœur a l'habitude de faire le tapin. Elle s'appelle comment déjà ? Flora ? Joli brin de fille. On se comprend ?"

Clovis ferma les yeux et hocha la tête.

"Bien," continua Iain avec un sourire, "Commence par me confirmer les bases. C'est toi qui m'a vendu n'est-ce pas ? Et qui a donné les indications à ce pourri de Capitaine Florisac pour tomber sur mes gars de Rouen, et pour s'emparer de mon entrepôt sur les quais ici à Paris. Tu étais sensé être avec les autres à l'entrepôt. Je les ai tous vus alignés sous le gibet. Sauf toi. Alors c'est bien toi ?"

Clovis fit une grimace et lâcha un "oui" plaintif. Iain hocha la tête d'un air déçu.

"C'était pas très loyal de ta part. A cause de toi les trois quarts de notre petite bande sont maintenant en prison ou se balancent au bout d'une corde. J'ai perdu pratiquement tout ce que j'avais dans ta petite trahison. J'ai bien faillit y laisser la peau moi-même, Clovis, et c'est le genre de chose qui a tendance à m'agacer. Maintenant dis-moi. Tu es trop stupide pour avoir fait ça tout seul, et même pour en avoir eu l'idée. Mais pas assez idiot pour ignorer que tu avais plus à perdre qu'à gagner dans cette histoire. A moins d'avoir une belle récompense et une protection à la clé. Alors qui t'a poussé, Clovis ? Qui t'a persuadé d'aller me dénoncer et d'orchestrer la fin brutale de mon petit commerce ? Qui t'a promis une protection ? Parce que visiblement, sur cette partie là, tu t'es bien fait baiser. Alors Clovis ? Qui voulait me faire couler ? Qui est l'enfant de putain qui voulait tant me voir pendu ?"

Clovis ouvrit les yeux, regarda le plafond, puis son regard fiévreux erra un instant sur le beau visage de la nonne qui pressait son voile sur son épaule blessée. Il évita le regard de Iain. Ce dernier s'impatienta, attrapa la main de la nonne et la pressa brutalement sur la blessure, arrachant un cri de douleur au malheureux.

"L'Araignée..." lâcha-t-il finalement en crachant du sang.
Iain Kelly
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Requiem nocturne. - Pv Marie-M de Mortemart EmptyDim 8 Nov - 15:14

Le tableau, plus encore qu’apocalyptique, était parfaitement grotesque. Le visage durci par la détermination –une détermination qui sans doute expliquait à elle seule que la Prieure n’ait pas encore complètement perdu son sang-froid-, la vieille femme avançait toujours, son crucifix brandi devant elle –comme dans l’espoir de tenir à distance les hommes qui avaient ainsi violé l’enceinte du couvent, aussi bien que dans le but peut-être de les ramener à des sentiments un peu plus pacifiques et chrétiens. Ce qui n’était bien sûr qu’une illusion ; comment faire revenir des hommes comme ceux-là à des mœurs que de toutes façons ils n’avaient jamais eues ? S’ils avaient fréquenté les classes de catéchisme, ou même les prêches du dimanche, il ne leur en restait vraiment plus rien du tout, et les efforts de la vénérable Prieure, dans ce contexte, devenaient tout à fait ridicules –pire encore, dangereux. Hélène et Marie-Madeleine, qui voyaient un peu mieux le danger, tremblaient à chaque pas qu’elle faisait, se rapprochant chaque fois un peu plus de celui qui semblait être le chef. Elles auraient aimé l’arrêter, pressentant que le borgne n’aurait sans doute pas beaucoup d’égard ni pour son âge, ni pour son sexe, ni pour son habit, et que le triple respect dû aux aînés, aux femmes et aux représentants de la religion lui était un concept inconnu.

Lorsqu’il posa la main sur le manche de son couteau, les deux jeunes femmes échangèrent un regard paniqué et Hélène avança même la main pour retenir la digne folle, mais la porteuse de clés s’enfuyant par la petite porte de la sacristie créa une diversion à point nommée, et empêcha le pire en détournant l’attention de l’homme. Lorsque sa main s’écarta de l’arme, Marie-Madeleine eut un profond soupir, et ses yeux tournèrent dans ses orbites. De soulagement, et après cet instant de tension beaucoup trop intense, elle crut se trouver mal, mais serra les poings. A côté d’elle, Hélène paraissait aussi ébranlée. Toutes deux savaient pertinemment que s’il arrivait quoi que ce soit à la Prieure, elles ne sauraient lui être d’un grand secours, et qu’elles se reprocheraient cette incapacité à l’aider en cas de besoin. Derrière elles, elles pouvaient entendre les chuchotements rapides, affolés, de leurs consœurs, et près de la porte, les gargouillements et les gémissements atroces émis par le blessé, dont la bouche semblait commencer à s’obstruer avec le sang qu’il recrachait en gargotant. Il y avait du sang sur les dalles du lieu saint, une épaisse masse sombre et qui brillait faiblement.

Et puis, nouvelle alerte ; le borgne se saisit du manche du crucifix. Elles virent les yeux de la Prieure s’arrondir, puis ses lèvres se pincer ; d’un suprême effort, elle tenta de lui arracher le mobilier saint au haut duquel l’effigie du Christ oscillait, de gauche, de droite, au gré de ses efforts pour le tirer de nouveau à elle et l’arracher aux mains souillées de sang du meurtrier dont la victime agonisait derrière lui. Offensée dans sa foi, elle paraissait ne plus voir le danger, et se redressa de tout son haut, prête à cracher quelque parole méprisante et hautaine à son antago,iste, mais ce dernier n’eût pas la correction de la laisser s’engager dans de vaines exhortations et la devançant, rapprochant de son grave et altier visage sa face hirsute, sale, et menaçante. Le discours qu’il lui tînt la glaça d’effroi, les glaça toutes d’effroi ; car sans même qu’il ait eu besoin d’élever la voix, toutes l’écoutaient, suspendues à ses moindres mots, les plus proches répétant dans un murmure terne, comme vidé de toute chaleur par la peur et l’horreur mêlées, à celles du fond. Il y eut un choc sourd ; l’une d’entre elles, ayant le cœur un peu moins bien accroché que les autres, venait tout juste de tourner de l’œil, craignant sans doute le sort qu’on pourrait bien lui réserver au vu de l’inventivité décidément terrifiante de ces bourreaux.

Mais de la menace la Prieure ne retint que le blasphème. Ses yeux brillant d’indignation, elle leva le crucifix devant l’œil du borgne, soulevant avec effort le bras de ce dernier en même temps que le bâton de bois poli et que le Christ d’argent en son sommet. Sa voix enfla sous les voûtes, portée par sa fureur outragée.

-Comment osez-vous vous vanter de telles exactions en ce lieu ? Comment osez-vous blasphémer de la sorte, et moquer les choses les plus sacrées ? Arrière !!!

En fait de reculade, c’est elle qui en subit une : lui arrachant d’un geste brusque le crucifix, l’homme le brisa net sur son genou. Il y eut un murmure général, un grondement. La peur commençait à se muer en une indignation qui la replaçait au second rang ; il avait été trop loin. Choquée, pâle, la Prieure regarda les deux morceaux de bois, et la brisure, échardes de bois se dressant désorganisées à l’extrémité des fragments, secouant la tête, refusant de comprendre ce qu’elle n’avait que trop bien vu.

-Mes filles,
dit-elle, se retournant, un homme capable de briser ainsi l’un des insignes les plus saints qui soient, un homme pareil ne reculera devant rien. S’il ne tenait qu’à moi, je n’obéirais pas et je subirais sans honte le martyr ; mais vous êtes toutes en ma responsabilité. Je répugne à vous demander d’obéir aux suppôts de Satan, mais puisque votre vie en dépend, alors je m’incline. Prions, mes filles, prions pour le salut de ces hommes sans foi, sans loi, prions pour leur rémission et pour leur conversion.

Elle jeta un regard parfaitement méprisant à l’homme qui lui faisait face. Marie-Madeleine, elle aussi indignée par le blasphème dont s’était rendu coupable le bandit, ressentit pour la vieille femme un élan véritable de sympathie pure, regrettant presque qu’elle ne leur ait pas demandé, à toutes de ses dresser contre ces hommes, qui de fait auraient d’ailleurs été en infériorité numérique irrécusable, quoiqu’une victoire de la part des religieuses ait été plus que douteuse. La Prieure se tourna résolument, repartant d’un pas très ferme, ce qui là encore la rendait tout à fait admirable, vers ses religieuses. Elle fit signe à Sœur Marie de reprendre les chants, lui indiquant d’une voix brève qu’elle souhaitait « un Miserere pour les misérables qui leur faisaient face. » Dans ce mauvais jeu de mots, on ne pouvait pas ne pas ressentir la tension qui l’habitait, inquiétude pour ses consœurs, outrage et indignation, fureur froide.

Marie-Madeleine et Hélène lui avaient emboîté le pas lorsque lapremière se sentit agrippée par le bras. De surprise elle faillit crier, mais se reprit juste à temps, et de son effroi momentané ne lui resta qu’une certaine pâleur qui dans la lumière basse de l’orage ne se remarquerait sans doute guère. Elle ferma les yeux pendant qu’il l’entraînait vers le blessé, murmurant rapidement des exhortations personnelles à rester calme et digne. Elle trouva pour se faire appui dans l’image de sa sœur Gabrielle répétant les louanges de sa famille, son ancienneté et son honorabilité. Le poids écrasant de ses glorieux ancêtres lui redonna un peu de courage et elle se retrouva agenouillée auprès du mourant –car l’homme qui lui faisait face, étalé sur les dalles froides, ressemblait déjà à un cadavre. Ses cheveux collés par le sang dessinaient une auréole pâteuse autour de son visage cireux, rendu blanc, presque gris, par la perte de sang. Ses joues, son front, luisants de sueur, brillaient, tout comme ses yeux fiévreux, fixés sur les voûtes qu’il ne semblait même pas voir réellement. Cependant, lorsque le borgne plaqua sur l’épaule du blessé les mains de la jeune femme, après y avoir résolument placé le voile qui couvrait ses cheveux, le mourant gémit –crachant un peu de sang. Marie-Madeleine, sentant son estomac se soulever, détourna un instant les yeux –mais il restait toujours cette odeur, cette odeur de sueur âcre, et celle, chaude, du sang qui lui faisait venir un goût métallique dans la bouche- et se retourna vers le borgne qui lui prodiguait ses conseils, le toisant d’un regard glacé.

-Je sais faire un garrot,
affirma-t-elle.

Ce qui techniquement n’était qu’à moitié vrai ; elle avait lu quelque part la manière dont on opérait en pareil cas, mais n’avait bien évidemment jamais été confrontée elle-même à ce type de situation. Dieu merci, les criminels ne venaient pas s’égorger dans leur chapelle tous les quatre matins –la situation n’aurait pas été supportable. Derrière elle, la voix –un peu tremblotante, ce qui n’en donnait que plus de sensibilité au chant exagérément lent et profond qu’avait choisi Sœur Marie, qui de fait appuyait encore plus l’atmosphère apocalyptique de cette circonstance- de ses consœurs commençait de s’élever ; Marie-Madeleine froissa le tissu du voile entre ses doigts maculés de pourpre, faisant une boule compacte de tissu replié, et la plaqua sur la blessure, essayant d’oublier l’aspect de la plaie sous le voile pour se concentrer uniquement sur son devoir, qui en la circonstance était de soulager les souffrances de son prochain, indépendamment du fait que le prochain en question appartenait au même milieu que les hommes qui s’étaient rendus coupables de telles exactions. Elle se força même à offrir au blessé un simulacre de début de sourire –ce qui était déjà mieux que rien. Mais le contact de la main du borgne sur ses cheveux, lui attirant un frisson, brisa l’ensemble péniblement composé, le remplaçant par une grimace de répulsion.

S’appliquant toujours à appuyer sur la plaie, elle prêta une oreille attentive à la conversation du mourant et de son assassin, dégageant rapidement l’idée générale de leur désaccord ; le blessé avait trahi le borgne, et il payait à présent pour cela. Elle murmura un rapide « Mon Dieu, mon Dieu, un règlement de compte », ne pouvant au passage s’empêcher de s’interroger sur les raisons qui avaient conduits à ce que le règlement en question se déroule ici même. Les voies du Seigneur sont impénétrables, se rappela-t-elle ; mais cela même ne lui parut pas devoir constituer une explication suffisante.

A nouveau, le borgne saisit sa main, la forçant à presser bien plus que de raison sur la plaie à vif. D’un mouvement d’épaule, elle chercha à s’en dégager –ne tolérant pas qu’on touche à « son » blessé, et surtout pas pour le faire souffrir inutilement. Le malheureux –si l’on pouvait s’exprimer ainsi- avait déjà eu son quota de douleur, et en agissant de la sorte, il risquait surtout de précipiter sa fin. Le cri que poussa le mourant lui vrilla les oreilles –insupportable. Elle eut un geste de recul.

Le blessé éructa un nom noyé dans le sang. Sans doute était-ce suffisant pour le borgne. De toutes façons, le malheureux ne lui en dirait guère davantage à présent : il venait de prononcer son dernier mot. Se pliant en deux, redressant un peu la tête qui se renfonça immédiatement dans les épaules, inclinée vers son cou, il sembla puiser au fond de lui-même les ultimes gouttes de sang qu’il recracha en un filet compact, gluant, mêlé de caillots noirâtres, qui allèrent se déposer sur sa chemise maculée. Puis, avec un râle, il dirigea ses yeux agrandis par la peur de la Mort vers la religieuse horrifiée, et se laissa retomber en en arrière –sans vie. Marie-Madeleine, par réflexe, continua encore un instant de maintenir le garrot sur le corps qui bientôt serait froid. Puis, murmurant dans un filet de voix presque son ton les prières des morts, elle avança presque timidement une main, et, du bout de trois doigts tendus, elle tira vers le bas les paupières afin de couvrir les yeux bleus délavés, brillants, horriblement fixes de l’homme.

-Il est mort.

Constat parfaitement inutile, atone.

Derrière eux, le chœur entonna un Requiem.
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Requiem nocturne. - Pv Marie-M de Mortemart EmptyVen 11 Déc - 15:32

Gravel, tenant gravement son rôle de Cerbère devant la porte de la sacristie, sentait sa joue le brûler à l'endroit où la jolie sœurette l'avait griffé. Sans l'ordre très clair de Iain de la ramener intacte, il lui aurait volontiers fait payer, peu importait qu'elle ait à peu près l'âge de sa sœur. Après l'avoir coursée dans les couloirs sombres reliant la chapelle au reste des bâtiments, il avait fini par la plaquer au sol, mais la bougresse s'était bien défendue. Refrénant ses envies de la trousser sur le champ et de laisser libre cours à ses plus bas instincts, il s'était contenté de la secouer un peu et de la ramener en se limitant à poser de temps en temps une main sur son joli petit cul. Mais de retour dans la chapelle, l'ambiance n'était plus au badinage. Ça le rendait nerveux de se trouver là. Ils n'étaient que quatre, et qui savait si une patrouille n'avait pas entendu le coup de feu ou les éclats de voix ? Depuis ce qui s'était passé deux semaines plus tôt, il devait l'avouer, quelque chose s'était noué dans ses entrailles à laquelle il n'était pas habitué : la peur de la mort. La trouille de mourir, oui, après être passé si près.

Ils étaient à Rouen à ce moment là, dans la vieille commanderie de Templiers en ruine qui leur servait d'entrepôt sur place. Les soldats qui les avaient débusqués avaient fait un travail incroyablement propre et efficace. S'approchant en neutralisant les sentinelles, ils les avaient tout simplement coincés dans le bâtiment principal. Ils avaient mis le feu et abattaient sans merci tout ceux qui essayaient de sortir. Alors que la fumée se faisait de plus en plus étouffante et que le toit commençait à leur tomber dessus, Iain, lui et quatre autres s'étaient repliés dans une sorte de crypte souterraine... Avant de réaliser qu'une partie de la galerie s'était effondrée, et qu'il n'y avait pas d'issue. Ils étaient restés quatre jours, terrés comme des rats dans ce souterrain noir, certains de crever là. Ils étaient vite tombés à court d'huile pour l'unique lanterne dont ils disposaient. Au bout de deux jours, le peu de nourriture qu'ils avaient sur eux était consommé. Au bout du troisième, c'était l'eau et l'alcool. L'un d'eux avait craqué, et Iain l'avait étranglé de ses mains, irrité par ses cris incessant. Ce n'est que grâce aux bas instincts des humains qu'ils s'en étaient finalement sortis, quand des pillards étaient venus dégager les décombres encore fumantes qui bloquaient l'entrée de la crypte, espérant y trouver des restes de butin. A la place, ils trouvèrent cinq hommes affamés, armés, couverts de cendre, de sang et de poussière et passablement énervés.

C'était comme ça avec Iain. L'homme était souvent considéré par la société comme une vermine, un dangereux parasite, un cafard... Mais comme ces derniers, il était increvable. Il s'en était pris plein la gueule, était passé à travers tant de tentatives d'assassinat que Gravel n'avait plus assez de ses doigts pour les compter, et pourtant il était toujours là. En guenilles, borgne, avec la peau sur les os et le corps portant plus de cicatrices que n'importe qui, mais toujours debout, tandis que la plupart de ses ennemis étaient sous terre. La loyauté de Gravel envers Iain était indéfectible, même s'il ne se l'expliquait pas toujours. Mais l'Irlandais était un homme dont les réactions étaient imprévisibles. Oh, ça avait toujours été plus ou moins le cas, aussi loin que Gravel s'en souvienne, et il était l'un des rares à pouvoir prétendre l'avoir connu dès ses débuts, depuis cette histoire à la Rochelle où Iain avait fait sauter tout un navire avec son père spirituel à bord.

Mais oui, depuis quelque temps, c'était de pire en pire. De joyeux ou calme, l'homme pouvait devenir fou de rage en un battement de paupières. Iain aimait jouer avec des poisons de toute sorte, et il en ingurgitait régulièrement de petites quantités pour, disait-il, forcer son organisme à s'immuniser contre eux si un jour quelqu'un avait la fantaisie de les utiliser à ses dépends. Mais Gravel savait qu'il en prenait certains pour le plaisir, pour les effets qu'ils produisaient sur lui. Par exemple, ce truc appelé Datura, ou "l'herbe aux fous" que l'Irlandais faisait brûler sur un petit brasero pour en respirer la fumée. Gravel était l'un des rares au courant. Ce truc était sensé aider Iain à dormir, lui qui souffrait d'insomnies, mais ça lui filait aussi de drôles de visions. Gravel l'avait déjà vu fixer les murs, l’œil perdu dans le vide, et parfois alors un sourire mauvais étirait ses lèvres, et se muait en un rire de dingue qui filait la chair de poule. Une fois, une seule, Gravel avait osé s'approcher et lui demander tout doucement ce qu'il voyait. Iain l'avait regardé à travers les brumes de ses hallucinations, et avait sourit. "Chaos", avait-il juste répondu dans un murmure, usant de sa langue natale. Il y avait quelque chose de très désagréable dans son regard. Et parfois, même après plusieurs jours sans que l'Irlandais ne s'envoie en l'air dans ces brumes infernales, ce truc était toujours là. Une sorte de détachement amusé de la réalité. Un truc qui échappait à toute logique.

En vérité, il s'attendait d'un instant à l'autre à ce que Iain se redresse soudain et leur ordonne le plus naturellement du monde de trucider chacune des bonnes sœurs présentes dans la chapelle. Le pire, c'est qu'alors ils se seraient exécutés sans broncher. Mais pour le moment, il restait sagement agenouillé près de Clovis, avec ce joli brin de fille qui, fallait le dire, en plus d'une belle paire de nichons, avait une sacré paire de couilles. Il reporta son attention sur le groupe de femmes qui entonnait un nouvel air. Fallait le reconnaître, c'était plutôt joli.

"Il est mort." lâcha la bonne sœur.

Iain était perdu dans ses pensées depuis que Clovis avait lâché le nom fatidique auquel il s'attendait un peu. C'était donc à l'Araignée qu'il devait d'avoir perdu deux entrepôts avec leur contenu et une cinquantaine de ses hommes. Et qu'il avait dû se terrer dans une tombe pendant quatre jour pour en sortir comme un mort vivant ou un Christ ressuscité. La voix de la fille à côté de lui le fit émerger. Il cligna des yeux et son regard passa de son joli visage à celui du mort, avant de revenir sur elle. Il lui sourit.

"Oh... vraiment ? C'est bien dommage. C'était un gars bien."

Il prit la main de la jeune femme dans la sienne. Elle était tachée de sang. Il l'embrassa doucement en la fixant de ses yeux pâles.

"Merci pour ton aide, ma colombe. Tu es merveilleuse."

Puis il se pencha sur le cadavre.

"Clovis, mon ami, je vais te ramener à la maison."

Alors il se redressa soudainement, poussa la religieuse sur le côté, et empoigna un manche en os qui dépassait d'un étui fixé à sa cuisse. Il en tira une sorte de hachoir à l'aspect brutal, dont la lame rectangulaire, de la taille d'une main, portait les traces du passage fréquent de la pierre à aiguiser. Empoignant Clovis par les cheveux, il le souleva jusqu'à décoller les épaules du sol, et abattit l'horrible lame sur son cou. Il frappa une fois, deux fois, trois fois, méthodiquement, hachant dans la chair en éclaboussant de rouge sa veste et ses avant bras, et jusqu'à la robe de la malheureuse près de lui. De nouvelles exclamations s'élevèrent depuis le chœur et le chant se tut. Au troisième coup, il dû faire jouer un peu la lame qui s'était coincée dans une vertèbre avant de la dégager avec un bruit écœurant. Puis appuyant son pied sur le torse du mort, il tira la tête d'un coup sec qui eu raison des quelques fragments de peau et de tendons qui la reliaient encore au corps.

Il essuya la lame sur la tunique du mort et la rangea, puis se redressa en poussant un petit soupir satisfait, et levant la main, il rabattit en arrière les cheveux qui étaient tombés devant ses yeux, laissant une trace sanglante sur son front. Il prit la tête à deux mains et la leva à hauteur de ses yeux, tournant le visage du mort vers le sien. Les paupières étaient toujours closes. La bouche entrouverte pendait mollement. Des gouttes de sang perlaient du cou haché, déchiré.

"C'est terminé, mon cher ami." dit-il doucement en déposant un baiser sur le front de Clovis. "Tu dois être en train de voler, te sentir tout léger, non ? Je me demande ce que tu vois. Dis moi..."

Il inclina la tête, rapprochant son oreille des lèvres du mort. Il n'y avait pas un bruit dans la chapelle, seul le vent et la pluie retentissaient contre les vitraux. Iain avait un air concentré, comme écoutant attentivement les paroles muettes de l'homme décapité. Il hocha doucement la tête, une expression indéchiffrable sur le visage, qui fit frissonner Gravel, qui la connaissait bien.

"Hum... Je vois... ça a l'air grandiose. Tous les autres sont là aussi, n'est-ce pas ? Dis leur de nous réserver une place au chaud. Et le vieux, il dit quoi ? Oh..."

Iain leva les yeux et se tourna vers le chœur de nones. Il fit quelque pas dans leur direction en écartant les bras, tenant la tête par les cheveux.

"Votre patron là haut vous fait dire qu'il s'étonne de ce silence soudain. Alors ? On ne chante plus ? Allez mes jolis rossignols, un petit effort."

Et brandissant la tête coupée devant elles, il glissa deux doigts sous le menton et actionna les mâchoires dans une parodie morbide de dialogue.

"Miserere mei, Deus; secundum magnam misericordiam tuam..." entonna-t-il avec une voix étonnemment juste et agréable, et un latin étrangement correct malgré une légère déformation due à l'accent irlandais. Même les trois sbires qui se tenaient dans les coins de la chapelle eurent l'air surpris. Malheureusement, la vue de la tête tranchée ouvrant et fermant la bouche en synchronisation avec les paroles ôtait tout ce que le tableau pouvait avoir de positif.

Iain se retourna soudain vers la jeune sœur qui l'avait assisté auprès de Clovis. Il s'en approcha, et regarda le corps décapité dont le sang souillait le sol sacré. De nouveau, il porta à son oreille les lèvres du défunt.

"Que dis-tu ? Ah, oui, ton autre moitié. Tu sais bien qu'on ne peut l'emmener avec nous, mon frère. C'est trop risqué. Mais je suis sûr que des âmes charitables en prendront soin, en toute discrétion."

Il tourna son regard terrible vers la jeune femme et sourit. Il leva une main tachée de sang et lui caressa la joue, y laissant des marques rouges.

"Dis-moi, mon ange. Vous avez sûrement une crypte, ici, non ? Montre moi le chemin."
Iain Kelly
Iain Kelly
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Requiem nocturne. - Pv Marie-M de Mortemart EmptyMer 13 Jan - 22:21

Les caillots passaient du rouge au brun sur le blanc douteux de la chemise du mort. Marie-Madeleine ne pouvait détacher son regard des traits figés, atroces, encore marqués par la souffrance que la mort n’avait pas apaisée. Elle aurait voulu regarder ailleurs, et ses yeux étaient enchaînés au cadavre. Et, bon sang, on aurait dit qu’il dégageait du froid. Elle sentait l’air se raréfier, s’empuantir des lourdes effluves ferreuses du sang, et porta une main à sa bouche –ses mains, elles-mêmes maculées. Avec un hoquet de répulsion, elle les passa rapidement, compulsivement, sur sa robe noire, les frottant jusqu’à irriter la peau. L’air se raréfiait, ils avaient atteint les confins de l’horreur, elle le sentait bien, elle allait se trouver mal, elle posa sa main sur les dalles froides. Inspira profondément. Posa les yeux sur le visage blême, la viande qui déjà refroidissait, qui bientôt pourrirait au fond de quelque fosse commune (dans le meilleur des cas). Frissonna. Expira. Profondément. Longtemps. Très longtemps. Jusqu’à avoir l’impression que ses poumons allaient se décoller. Jusqu’à ce que sa tête lui tourna à moitié. Alors, elle inspira de nouveau, plus calme.

Les paroles de la brute borgne lui parvenaient à peine, en revanche, le contact de sa main sur la sienne la fit tressaillir. Elle avait vu de quoi il était capable, et le nom des Mortemart ne suffisait plus tellement, dans son état de nervosité, à lui faire garder sa contenance… Il la porta à ses lèvres. A ses lèvres, comme l’aurait fait un gentilhomme –pour un peu elle aurait eu la nausée. Mais au moins, le geste outrageur raviva un peu sa fierté, un travers qu’elle s’appliquait d’ordinaire à corriger mais qui aujourd’hui lui serait d’une grande aide. Il fallait savoir prendre quelques libertés avec les principes, de temps en temps –question de survie.

Pendant qu’elle se redressait fièrement, donc, notant au passage que les voix du chœur derrière elle formaient une harmonie un peu plus tremblante qu’à l’ordinaire, dans laquelle elle ne pouvait pas reconnaître la tonalité particulière d’aucune de ses consœurs. Elle regarda l’homme se pencher sur sa victime, lui parler –preuve supplémentaire s’il en fallait encore d’autres qu’il était complètement dérangé-, et essaya de charger de hauteur et de mépris son regard –principalement pour masquer son angoisse intérieure. Tout à coup, et sans crier gare, l’autre se redressa, la rejeta brutalement de côté. Elle alla heurter de la paume tendue de ses deux mains la pierre froide, et les poussières qui la constellaient collaient à sa peau moite. Elle eut conscience d’un mouvement brusque à la périphérie de son champ de vision, et par instinct, se rejeta encore plus loin du borgne, et releva les yeux pour le voir brandir une sorte de hachoir primitif, un instrument barbare de boucher bien plus qu’une arme, et sentit son cœur s’arrêter. Tout son sang reflua sans doute de son visage, et elle sentit ses yeux s’arrondir et ses coudes fléchir sous son propre poids. Le chœur se tut, des cris aigus remplacèrent les chants, puis le silence, et même le choc sourd d’un corps s’abattant à terre.

Mais elle n’avait rien à craindre. Le borgne, dont l’œil unique avait pris une expression de démence froide, abattit le tranchant grossier sur la nuque roide, sans vie. Il y eut un craquement atroce, chairs tranchées, vertèbres à demi broyées, et la lame ressortit, laissant derrière elle un sillage de chairs rougeâtres mêlées d’esquilles d’os, un découpage qui non seulement n’avait rien de propre mais laissait le chef de Clovis encore à moitié rattaché au reste de son corps. Une nausée brutale monta à la jeune femme, qui se demanda comment il était permis de faire un tel travail d’une manière aussi bestiale. Sans compter que l’acte était parfaitement inutile, ce qui ne faisait qu’en souligner la cruauté et la barbarie : pourquoi s’acharner ainsi sur ce corps flasque et sans vie ? Le dégrader ne résoudrait en rien les problèmes de trahison du chef de bande. Et épargnerait de surcroît la très pénible vision aux délicates sœurs.Enfin au troisième essai, la tête se détacha, avec un bruit écœurant. Un massacre. Une boucherie. Les pierres de l’édifice sacré, souillées, et le borgne brandissant l’horrible trophée, l’embrassant à pleines lèvres, sur le front.

Marie-Madeleine, à terre, passa une main sur ses yeux. Sa main qui lui paraissait encore tout imprégnée de l’odeur de sang. Elle n’arriverait peut-être jamais à s’en débarrasser, de cette odeur si entêtante. Et l’autre qui parlait au chef décapité, comme si sa victime pouvait encore l’entendre, idée répugnante au possible. Mais la mesure ne fut pleine que lorsqu’il glissa deux doigts sous le menton du défunt, le transformant ainsi d’un simple geste en un pantin ridicule, une marionnette de chairs pendantes, mortes, atroce. Il n’y avait pas de mot pour décrire une horreur pareille, qu’amplifiait encore son caractère profane, impie, sacrilège.

« Un effort… ? »
la voix de la prieure semblait osciller entre la fureur et une faiblesse tout à fait contradictoire mais ô combien compréhensible. A ses côtés, une des sœurs se plia en deux, éructa et vomit. Une autre, pâle comme son voile empesé, fixait, comme hypnotisé, les mouvements mécanique de la mâchoire ainsi agitée. « Un effort ! Cessez ce comportement impie. Le respect des morts vous est-il donc complètement inconnu ? Ce malheureux est déjà refroidi, il ne sert plus à rien de vous obstiner contre lui. » Comme elle s’engageait sur le terrain plus théorique des principes, la voix de la sœur se fit plus assurée, et elle se redressa un peu. Digne, grave, elle demeurait cependant un bien pauvre et faible porte-étendard pour une morale chrétienne déjà bien foulée aux pieds par les truands. Minuscule, dérisoire petit lieutenant d’une armée de paralysées par une peur trop violente.

La simagrée cependant continuait. Le corps, à présent, désirait une sépulture, ce que le borgne fit comprendre à Marie-Madeleine. Le sang, encore, le sang qu’il déposa sur sa joue fut d’abord tout ce qu’elle put analyser de sa demande. Arriverait-elle jamais à laver tout ce sang ? A chasser son odeur? Et puis, enfin, elle comprit ce qu’on lui demandait.

Placer ce corps mutilé, sanguinolent, dans le caveau des sœurs ? le caveau ou jamais un corps étranger à la congrégation n’avait été déposé ? Le placer là, au milieu de toutes les malheureuses mortes en paix, dans la joie de servir le Seigneur auquel elles avaient, plus ou moins volontairement, consacré leur vie ? Lui, ce triste hère qui n’était jamais, après tout, qu’un brigand de la même trempe que ceux qu venaient de l’exécuter, qui s’était peut-être rendu coupables de crimes égaux aux leurs ? Qui n’avait sans doute qu’une conception plus que rudimentaire des préceptes de la Foi ? Comment ? D’abord sonnée, la requête lui parut plus qu’absurde. Il se moquait d’elles. Elle le fixa, ébahie, avec l’air sans doute d’une idiote. Puis commença à trembler, convulsivement. Ferma les yeux.

Lorsqu’elle les rouvrit, elle ne pouvait plus contenir son rire, un rire vraiment nerveux, inextinguible. Tout cela manquait de sens. Elle avait eu tellement peur, elle avait vu tellement d’horreurs, et de si près, et en si peu de temps, qu’elle ne parvenais plus du tout à maîtriser ses réactions. Après tout, rire n’était sûrement pas pire que de s’évanouir sans autre forme de procédure –une solution qu’elle avait été à deux doigts de préférer, mais son métabolisme en avait apparemment décidé autrement pour elle. Lorsqu’enfin les larmes commencèrent à affluer dans ses yeux, elle se calma.

« Une crypte ? Non. Pas pour lui. Pas pour vous. Pour les âmes chrétiennes, qui sont mortes en paix avec elle-même et avec el Seigneur, ce qui n’est pas vraiment le cas de celle-ci. Pas de crypte pour les pécheurs de votre espèce. Cela offenserait par trop nos consœurs qui y reposent, et qui n’ont rien demandé du tout. »

Mais, comme la réponse semblait un peu rude, même à elle, et qu’après tout, il n’était à la réflexion pas beaucoup plus chrétien d’abandonner là le pauvre macchabée que de ne pas le mélanger aux religieuses décédées, elle se ravisa.

« Par contre, il y a le jardin du couvent. Nous travaillons un peu de terre. Au fond, il n’y a guère que quelques massifs d’hortensias. On l’enterrera dessous, il aura une belle tombe bien fleurie, plus qu’il n’en mérite. »

Son discours était haché, peut-être vide de sens, elle n’en savait plus rien, elle ne voulait plus le savoir, les incohérences lui importaient peu tant qu’on les débarrassait de ces hommes. Après tout, quand on aurait enterré leur dépouille bien profond pour que personne, jamais, ne le retrouve, ils seraient satisfaits, et plus rien ne les empêcherait de partir, alors, autant leur donner satisfaction. Un rire tremblant et nerveux encore ux lèvres, Marie-Madeleine se releva, un peu chancelante.

« Faut-il encore lui chanter une messe ? Sinon, faites le porter par vos sbires. Je vais vous conduire. »

Elle aurait voulu réclamer la présence d’Hélène à ses côtés, pour se conforter, mais la crainte que son amie ne subisse un mauvais parti si jamais on décidait de lui en faire un l’arrêta. Elle hésita cependant, jeta un regard vers la jeune femme dans le chœur, tourna un peu sur elle-même, et prit la tête du « cortège » pour sortir de cette chapelle apocalyptique. Dehors, il faisait froid, le vent jetait un peu de pluie à son visage, et ce contact la fit revenir un peu à elle-même.
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Requiem nocturne. - Pv Marie-M de Mortemart EmptyDim 7 Fév - 13:09

Plissant les paupières de son seul œil valide, Iain pencha légèrement la tête sur le côté, observant les étranges modulations du joli visage de la jeune sœur. Sa simple requête semblait causer chez elle beaucoup d'émois. Il allait ouvrir la bouche pour réitérer sa question sur un autre ton lorsque soudain elle éclata de rire. Sa voix cristalline monta sous les voûtes, dans le silence stupéfait de l'assistance. Le borgne leva un sourcil, puis ses lèvres se mirent à frémir, et son rire dément, mêlant un timbre rauque et fêlé à des nuances folles plus aiguës, se joignît à celui de la jeune femme. Quel étrange spectacle ils devaient donner à s’esclaffer ainsi presque aux larmes, face à face, elle la bonne sœur dont les cheveux privés de leur voile tombaient en cascades emmêlées et désordonnées sur ses épaules, et lui le démon couvert de sang dont l’œil mort gardait une fixité de statue malgré l'hilarité qui tordait son visage maigre et brutal, une tête tranchée se balançant à la main, faisant goutter du sang sur les dalles.

Elle retrouva son sang froid bien avant lui, et des gloussements saccadés secouaient encore ses épaules quand il écouta la réponse soudain très sèche. Oh, elle se voulait blessante, mais pour Iain, le concept de "sacré" était totalement vide de sens. Tout ce qu'il entendait se résumait à une rebuffade et un refus peu logique à une requête pourtant simple et prononcée gentiment. Ses lèvres souriaient encore alors qu'il songeait, un peu déçu, qu'il allait devoir faire un exemple de la jeune femme pour en pousser une autre à être plus coopérative. Dommage. Il commençait à vraiment bien l'aimer cette petite caille.

Mais elle se hâta de poursuivre, plus conciliante, plus réfléchie. Il buvait ses paroles, attentif, son oeil brillant à mesure qu'elle dépassait sa crainte pour formuler les mots. Se rendait-elle compte qu'elle venait de dire "on" ? A la fois prenait-elle assez d'assurance pour se dominer et adopter une attitude presque défiante, à la fois elle semblait résignée à se couler dans son jeu, à en être complice. Oh, certainement pour précipiter son départ, sans aucun doute, mais il appréciait. En grattant un peu, même les grands symboles de pureté et de vertu pouvaient révéler des trésors de bassesse et de perversion, c'était une chose qui l'avait toujours fasciné et amusé. Rien ne lui apportait plus de distraction et d'excitation que de voir les parangons de sainteté révéler leurs faiblesses et leur côtés sombres. Oh bien sûr, dans le cas présent, c'était bien peu de chose, mais tout de même, cela suffit à amadouer la violence qui couvait en lui et qui menaçait sans cesse d'exploser telle la lave d'un volcan en activité. C'est qu'elle prenait les devants et commençait même à donner des ordres, la mignonne ! Oh comme il s'amusait.

Il leva devant lui le visage mort de Clovis, et plongea son regard dans les yeux vitreux.

"Et bien, cela prendra peut-être un peu plus de temps, mais va pour les hortensias. Tu entends ça, Clovis ? Navré mais tu n'es pas assez bien pour dormir avec les bonnes sœurs. Allons, va pour un peu de jardinage."

Puis se désintéressant soudain de la tête avec laquelle il jouait depuis un moment, il la balança à Gravel, aspergeant les dalles d'une pluie rougeâtre, avant de se tourner vers les deux autres, Dussart avec son nez en sang, et Museau dont la bouche était déformée par un bec de lièvre, révêlant de façon assez hideuse ses dents jaunies. Il pointa un doigt sur le premier.

"Toi tu le portes"

Puis au deuxième :

"Toi tu prends la lanterne, là bas, et donne moi ton pistolet."

Une fois l'arme en main, il vérifia qu'elle était chargée et prête à fonctionner avant de la tendre à Gravel, qui finissait d'emballer la tête dans un sac de toile. Des trois, c'était le plus à même de se servir de sa tête et de ne pas prendre de risque inconsidéré.

"Ton arme est chargée ? En voilà une deuxième. Tu restes là pour veiller sur nos hôtes. Si l'une d'elle bouge, si elle caquette, si elle pousse le moindre couinement qui ne ressemble pas à du pieux latin, tu vises d'abord... celle-ci" il désigna la vieille nonne qui avait dès le départ essayé de lui tenir tête, "Tu lui fais sauter la cervelle, puis si ça suffit pas à ramener un peu d'ordre dans ce lieux saint, tu fais pareil avec... disons celle-là" cette fois il désigna l'une des plus jeunes dont le joli minois déjà pâle devînt soudain presque cadavérique.

Enfin il se tourna vers le chœur des sœurs, fit quelque pas en se frottant les mains, avec l'allure d'un acteur montant sur scène et réfléchissant à la meilleure façon d'introduire une pièce, un sourire avenant plaqué sur le visage.

"Mes bien chères sœurs... et toi aussi ma colombe" ajouta-t-il en se tournant un instant vers la jeune femme qui attendait derrière lui pour le guider au jardin, "Je vous remercie de votre aimable accueil. C'était une expérience très... enrichissante, sur le plan spirituel, et votre chapelle est vraiment un bel endroit, qui invite au recueillement et à une très pieuse méditation. Quant à vos chants, mmh, un vrai régal pour les oreilles de l'humble mélomane que je suis. Il est vrai que nous avons eu quelques différents. Je m'en excuse, j'assume ma part de responsabilité dans les petites tensions qu'il y a pu avoir entre vous et moi. Mais admettez que certaines d'entre vous ont un sale caractère." Il fit un clin d’œil à la vieille nonne. "Cependant tout s'est plutôt bien déroulé, dans le calme et la sérénité, et j'espère que cela va continuer pour les quelques instants qu'il nous reste à passer ensemble. Car oui, toutes les bonnes choses ont une fin, et l'heure des adieux approche. Ne pleurez pas je vous prie, vous me manquerez aussi, nous avons vécu des choses formidables vous et moi."

Il s'essuya une larme imaginaire d'un geste théâtral.

"Allons, trêve d'effusion, je vais maintenant vous annoncer la suite du programme, soyez attentives. On ne bavarde pas dans le fond, s'il vous plaît ! Merci. Bien ! Votre petite soeur et nous autres pauvres pêcheurs avons un petit travail à faire là dehors. Pendant ce temps, je vous laisse à la bonne garde de mon ami ici présent, qui est un homme sage, bon et discipliné. Vous avez bien compris les ordres que je lui ai donné dans le cas où vous seriez de vilaines filles, je suppose que je n'ai pas besoin de revenir dessus ? Je vous invite à reprendre vos chants bien tranquillement et à commencer à domestiquer vos esprits. Car oui,voilà la deuxième chose, et la plus importante, que je dois vous demander. Le but du jeu, c'est de vous convaincre que tout ceci n'était qu'un mauvais rêve collectif. Il ne s'est rien passé du tout, nous ne sommes même pas là. Bon, c'est vrai, là tout de suite ça peut sembler difficile, mais avec un peu d'eau, de savon, et une serpillère qu'il conviendra sans doute de brûler ensuite, vous verrez que toute trace de notre passage aura disparu. Vous y mettrez beaucoup d'application, j'en suis sûr. Enfin, dans les jours, les mois, les années qui viennent, il est évident que jamais ni moi ni personne n'entendront parler de quelconque rumeurs sur un groupe de méchants hommes venus en étriper un autre sur le sol d'une jolie chappelle de couvent. C'est que j'ai des yeux et des oreilles un peu partout dans cette ville, et entendre une histoire aussi sordide, moi qui suit un être sensible et fragile, ça risque de me faire tourner la tête ! Je risquerai d'avoir envie de faire des choses pas très jolies. Certes je pourrais commencer par vous dire que je connais le chemin pour venir jusqu'ici, et que mes amis et moi pourrions venir chatouiller vos jolis petits corps avec une lame au milieu de la nuit. Mais ce serait trop facile. Alors, vous qui êtes des créatures dévouées, altruistes et pleines de compassion, je vous dirais également ceci. Si une rumeur idiote arrive à mes oreilles, cinq jeunes femmes de votre âge, prises au hasard dans la foule de Paris, peu importe le rang, la classe, la taille de la bourse, seront sauvagement violentées et assassinées, et ce sera long pour chacune d'elle. Très long. Si des rumeurs semblables, après ça, me parviennent de nouveau... Dix autres subiront le même sorts, mais avec une moyenne d'âge... beaucoup moins élevée. Je pense que nous nous sommes tous très bien compris !" acheva-t-il avec un grand sourire carnassier avant d'esquisser une révérence.

Puis sans autre forme de procès, il fit volte face, et d'un signe de la main, invita la jeune nonne à prendre les devant, suivie par Museau avec sa lanterne et Dussart qui soufflait comme un boeuf sous le poids du mort qu'il portait sur le dos, et dont le sang, par le cou cisaillé, abreuvait sa chemise crasseuse.

Dehors, la tempête s'était déplacée. Le ciel au loin était toujours chargé, et s'éclairait par moment de la lueur des éclairs, dont le grondement ne parvenait aux oreilles de ceux présents à l'Abbaye-aux-Bois qu'avec une bonne douzaine de secondes de retard. Le vent soufflait toujours, mais l'averse s'était réduite en une bruine fine qui peinait à les atteindre au sein des hauts murs qui entouraient le couvent. La lune prenait sa revanche et dardait son éclat pâle au travers des nuages qui s'aminçissaient.

Iain leva la tête et respira longuement l'air frais et revigorant, chassant dans ses narines les effluves de cire et d'encens de la chappelle auquel se mêlait l'odeur métallique du sang. Alors qu'ils se mettaient en marche vers l'arrière du bâtiment, un petit bruit aigu les fit se retourner. Museau leva sa lanterne. Des buissons fleuris qui bordaient le mur de la chappelle, une petite ombre se détacha et se figea. Deux yeux ronds et jaunes les fixèrent, méfiants, sous deux petites oreilles pointues. C'était un jeune chat errant au pelage gris hirsute, qui poussa un miaulement aigu, dérangé dans sa chasse par ce groupe d'humains étranges. Le visage de Iain s'illumina. Il posa un genoux à terre et tendit doucement la main vers l'animal. Le chat le fixa un moment, puis à pas très lents, s'approcha pour renifler les doigts, et enfin se laissa caresser.

"There, sweety..." murmura le borgne dont le sourire et le regard étaient soudain presque semblables à ceux d'un enfant. Ses doigts, avec délicatesse, se glissaient dans la fourrure, venaient gratter la petite tête derrière les oreilles et sous le menton. Le chat poussa bientôt des ronronnements et vînt se frotter contre lui.

C'était une des particularités étranges de ce monstre Irlandais. Lui qui était capable de mutiler et assassiner sans sourciller n'importe qui sans distinction d'âge ou de sexe, lui qui dans ses mauvais jours pouvait décharger un pistolet sur un de ses hommes juste parce que celui-ci toussait un peu trop fort, qui avait assassiné des enfants sous les yeux de leurs parents en guise de châtiment pour tel ou tel affront supposé, avait un respect et un amour sincère des animaux, que ceux-ci la plupart du temps lui rendaient bien. Les animaux vivaient en accords avec leur nature. Ils ne se posaient pas de questions de morale, de bien ou de mal. Ils vivaient selon leur instinct sans se laisser influencer par aucun dogme, aucune religion, aucun principe, et se moquaient pas mal de savoir si leur âme, à leur mort, serait damnée ou jouirait de plaisirs infinis dans un paradis quelconque. Ils pouvaient ruser, mais ne mentaient pas, ni aux autres, ni à eux même. Iain connaissait sa propre nature et ne cherchait pas à se convaincre qu'il était quoique ce soit d'autre. Sans doute ce lien privilégié avec les chiens, les chats, venait-il en partie de là.

Il prît le chat dans ses bras. L'animal se laissa faire, semblant apprécier ces marques d'affection auquel il était sûrement peu habitué, et continua de ronronner joyeusement, plissant les yeux de plaisir sous les doigts du tueur. Dussart et Museau échangèrent un regard discret. Décidément leur patron était un être bien particulier.

"Alors, tu nous montres ces beaux hortensias, ma Colombe ? D'ailleurs quel est ton nom ?" demanda enfin Iain en plantant son regard dans celui de la nonne.
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Requiem nocturne. - Pv Marie-M de Mortemart EmptyVen 26 Fév - 12:36

L’orage avait cessé.
Le ciel, toujours sombre, était calme, de longs bandeaux sombres de nuages masquaient par moment le peu de lumière naturelle, poussés par un vent vif et froid. Marie-Madeleine serra ses bras autour de son buste. Elle n’avait pourtant pas si froid que cela, mais la tension nerveuse qui commençait à se relâcher lui donnait cette impression. Elle avançait lentement, à petits pas serrés, sur le chemin qu’empruntaient habituellement les sœurs pour aller chercher les outils qui leur permettaient d’entretenir un minuscule carré de terre, dans lequel elles faisaient pousser quelques fleurs pour orner l’autel les jours de fêtes, et quelques légumes –sans pour autant pouvoir prétendre ne dépendre que de leur travail.

Des bribes du long discours du borgne tournaient encore dans sa tête. Il voulait qu’on l’oublie. Mais quel soin il vait pris pour marquer les esprits ! Pour sa part, elle ne s’en sentait pas du tout capable, et veillait pour le moment à laisser le plus de distance possible entre elles et eux –les truands et leur sanglant fardeau, la tête et le corps, tous les deux laissant à leur suite un filet de sang , rouge encore, brunissant déjà. Un bruit. Deux lumières, comme des pierres précieuses que l’on aurait placées devant une chandelle, clignotantes. Une petite forme souple et miaulante qui sortait de derrière on-ne-sait trop quoi… Marie-Madeleine soupira, ses épaules se relâchèrent, elle reposa le pied qu’elle avait tenu suspendu un instant, n’osant pas finir son pas. Un chat, ce n’était qu’un chat ! De reconnaissance, elle sourit. Son sourire se figea, mourut sur les lèvres, à peine esquissé, lorsque le borgne s’approcha du petit animal, le caressa de ses mains où il restait encore du sang de Clovis. Elle réprima encore un haut-le-cœur –ce n’était jamais que le troisième, quatrième, plus peut-être de la soirée… Et sans doute pas le dernier, car la tâche qui les attendait n’avait rien de réjouissant. Elle avait hâte d’en avoir fini.

« Il y a des pelles là-bas. »


Elle avait peine à reconnaître sa propre voix, rauque et qui ne passait qu’à grand peine, par filets, la barrière de ses lèvres. D’une main, elle désigna l’apentis sous lequel les sœurs rangeait les quelques outils dont elles disposaient –deux pelles, trois bêches, guère plus, mais ce serait suffisant. La terre détrempée par l’orage serait aisée à creuser. Les hommes là-derrière n’étaient pas des enfants de cœur et avaient sans doute, eux aussi, hâte d’avoir enterré leur comparse et victime. Il était probable que la pénible besogne ne prendrait pas trop longtemps… Et qu’elles retrouveraient vite les autres sœurs. Les malheureuses devaient trembler de peur devant leurs lutrins, paralysées par l’inaction qu’on leur imposait et qui devait leur faire paraître plus longues encore les minutes de leur internement.

On ne l’avait pas écoutée. Tous s’étaient tournés vers le chef borgne et son petit chat, qu’il avait pris dans ses bras, avec ce qui ressemblait presque à de l’affection. Il avait donc des sentiments, celui-là ! Cela aurait dû la rassurer ; Marie-Madeleine au contraire n’en était que plus ébranlée. Elle commençait à craindre de ne pas tenir face à la peur, l’anxiété constante auxquelles elle était soumise depuis l’irruption des quatre hommes au milieu de l’office. Elle inspira. Expira. Encore une fois, comme plus tôt dans la soirée, elle mit toute son application dans la répétition mécanique de ces mouvements si naturels. Elle se calmait, petit à petit, lorsqu’on s’adressa à elle ; un sursaut, tout était à recommencer.

« Les hortensias sont par là. »

L’œil mort la fixait, l’œil vivant la scrutait, elle sentait monter le malaise.

« Marie-Madeleine. »

La voix était sépulcrale, la lune éclairait les brins d’herbes chargés des gouttes d’eau de l’orage.

« Il y a des pelles là-bas… »

Le petit filet de voix se brisa sur la dernière syllabe, qui tomba atrophiée dans le silence nocturne. Elle frissonna. Il commençait vraiment à faire froid, avec ce vent, et cette bruine, que l’on ne sentait pas vraiment, tant elle était fine, mais qui alourdissait ses cheveux libérés du voile, rendaient moites ses mains, son visage, collaient sa robe à ses membres glacés.

« Pour creuser la tombe. »


Elle tourna sur ses talons, hésitant entre les deux directions. La pelle, les hortensias ? La pelle d’abord, dans sa perte totale de tous ses repères elle conservait un brin de logique, qui la rassurait, elle n’était donc pas encore totalement folle, tout allait pour le mieux ou presque ! Un des deux, elle ne connaissait pas son nom, il tenait une lanterne, la suivit et prit les outils qu’elle lui désignait. Elle le conduisit ensuite, de moins en moins vacillante, jusqu’au massif d’hortensia. Sous les rayons crus de la lune, et sans doute aussi parce qu’elle savait ce qui allait arriver ensuite, ils lui semblèrent tout à fait différents de l’inoffensif arbuste qu’elle dépassait sans y penser, ne notant plus qu’à peine leur beauté. Énormes, les fleurs s’étalaient, mises en relief par le crépuscule lunaire, leur odeur, sublimée par la pluie d’orage qui venait de tomber, paraissait lourde, très lourde, entêtante comme un poison. Bleues-violettes, les fleurs avaient pris une teinte plus sombres, bien sûr, bleu nuit, noir.

« Ne creusez pas ici, Sœur Angélique voulait bouter un nouveau pied au printemps. Là, c’est bien. »


Elle désigna le fond du massif, au pied du mur d’enceint du couvent. Stupéfaite de se constater un tel sens pratique dans de pareilles circonstances, elle regarda celui qui tenait les pelles poser sa lanterne, les fleurs prendre un nouvel aspect, presque plus irrationnel à présent qu’elles étaient éclairées par le dessous. Surtout, surtout elle évitait de croiser encore le regard de leur chef.
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Requiem nocturne. - Pv Marie-M de Mortemart EmptyDim 15 Mai - 12:09

Il la scrutait et sentait monter son malaise. Les nerfs d'acier de la belle commençaient-ils finalement à la trahir ? Cette façon de se répéter, d'hésiter, cette voix de plus en plus blanche. Il ne pouvait s'empêcher d'en ressentir un certain amusement, et conserva donc son masque de marbre jusqu'à ce qu'enfin les hésitations de la jeune femme laissent place à des indications plus nettes. Alors le visage de Iain s'éclaira d'un immense sourire, et son œil valide brilla d'une étincelle presque joyeuse, comme si on venait de lui proposer une agréable ballade lors d'un après-midi ensoleillé.

"Parfait ! Allons-y."

Il fit un signe de tête à Museau qui accompagna la jeune femme jusque l'appentis, tandis qu'il gagnait les hortensias avec Dussart. C'était un joli massif, parfaitement entretenu. Le parfum capiteux des fleurs et de la terre humide emplissait ses narines. Son sourire s'élargit tandis que Marie-Madeleine, puisque tel était son joli nom, se montra étonnement pragmatique quant à l'emplacement où creuser. Le chat ronronnait toujours dans ses bras, il le gratifia d'une caresse bourrue entre les deux oreilles.

Les deux sbires se mirent en action. L'un posant sa lanterne, l'autre son cadavre, ils se répartirent pelle et bêche et s'attelèrent à la tâche avec une efficacité qui trahissait une certaine habitude. Iain leva le regard vers le ciel, ou le vent chassant un groupe de nuages laissait filtrer la clarté sélénique. Il posa le chat au sol, qui aussitôt se pressa contre ses bottes, et prenant doucement la jeune femme par le bras, l'entraîna vers un banc de pierre à proximité. Le chaton, refusant de renoncer aussi vite à ces marques d'attention, s'approcha en trottinant, et se coucha sur le dos aux pieds de Iain, jouant avec ses doigts qui pendaient dans le vide. Iain le regarda en souriant.

"Je vais l'appeler Clovis."

Puis son regard remonta vers le massif floral, et il reprit avec le ton badin d'une conversation amicale à l'attention de la jeune femme à ses côtés :

"Là d'où je viens, il y a beaucoup d'hortensias. A côté de la misérable ferme où j'ai passé mon enfance, il y avait un massif tellement énorme qu'il dépassait notre chaumière en hauteur. Quand j'étais tout petit j'adorais m'y cacher, j'avais l'impression d'entrer dans un palais féerique tandis que ma propre maison avait plutôt des allures d'étable."

Son sourire s'élargit, puis disparu soudainement.

"Vois-tu, je vivais là avec ma mère, et mes grand-parents. Tous les jours ma mère se rendait en ville où elle travaillait sur le port, tandis que mon grand-père passait la journée à labourer son champ misérable. Et le soir, il s'envoyait une bonne bouteille de gnôle artisanale. Et quand il avait bien bu, il avait envie d'action. Alors il cognait ma mère, il cognait ma grand-mère, et quand il arrivait à m'attraper il me cognait aussi. Un jour j'ai attrapé sa bouteille et la lui ai lancé à la figure. Manque de chance, je l'ai raté. Alors il m'a poursuivit dans une colère noire. Je savais parfaitement où me cacher : dans l'énorme massif d'hortensias. J'y ai plongé, ma petite taille me permettant d'aller me réfugier en plein cœur de mon palais personnel. Lui, il enrageait. Trop grand, trop gros, trop vieux pour m'atteindre au milieu des buissons, des fleurs, des branches et des feuilles qui me cachaient parfaitement. Je me suis dit que j'y serais tranquille et que j'allais y passer la nuit en attendant qu'il décuve..."

Iain se redressa, regarda la jeune femme, écarta sa veste et souleva sa chemise pour dévoiler le dessus de sa hanche gauche, où une longue cicatrice courait comme un ruisseau violet sur la peau matte.

"Mon grand-père ne l'a pas entendu de cette oreille et il était bien décidé à me déloger de ma cachette. Alors il est allé dans son appentis, et est revenu avec sa faux pour tailler mon palais en pièce. J'étais trop terrorisé pour bouger, et quand la lame m'a entaillé j'ai même pas crié."

Il regarda de nouveau vers le massif.

"Depuis ce jour j'ai toujours comme un brin de nostalgie quand je vois des hortensias. Mon seul regret est de pas avoir pu tuer mon grand-père... Il m'a refourgué à mon père naturel dès que celui-ci s'est pointé sur son navire, quand j'avais six ans. Et d'après ce que j'ai appris plus tard, il a cassé sa pipe juste après, sans avoir la courtoisie d'attendre que je revienne lui trancher la gorge moi-même."

Il cilla et regarda la jeune femme. Il semblait s'étonner lui-même d'être aussi loquace, mais ça faisait partie de ses bizarreries, de ses changements d'humeur intempestifs. Son sourire carnassier éclaira de nouveau son visage.

"Marie-Madeleine, hein ? Dis-moi, qu'est-ce qu'une ravissante créature comme toi fais cloîtrée dans un endroit comme ça ?" Il leva la main vers son visage, attrapa entre ses doigts une mèche de cheveux qui battait au vent et se pencha, très près, pour la sentir.

"Tu es trop bien tournée pour être une pauvre paysanne ou une orpheline... Marie-Madeleine c'est ton nom véritable ou on te l'a donné quand t'as pris le voile ? Tu n'as pas l'air non plus d'une pute comme celle de la Bible dont tu portes le nom. T'es de la Haute, pas vrai ? Alors quoi ? Qu'as-tu fais pour te retrouver ici ? Tu t'es fais trousser par le mauvais gars hors mariage et ta famille l'a mal pris ?"

Il se redressa et planta son regard dans le sien.

"Non... je parie que non... Tu es là par conviction ? c'est d'une tristesse... Les gens de ton espèce sont mortellement ennuyeux... A se comporter comme de vrais exemples de pureté, à rejeter leurs propres vices, leurs propres perversions... A se composer un portrait tout lisse sur lequel aucun péché n'accrocherait... Vous êtes morts avant l'heure."

Son regard se fit plus dur, son sourire disparut.

"Des moutons," continua-t-il, "des agneaux qui tendez docilement le cou en attendant le couperet. T'arrive-t-il seulement de rire ? As-tu seulement pris un jour une queue entre les cuisses ? Non, vaut-mieux pas, des fois que tu aimerais ça et que des images impures viennent troubler tes parfaites petites méditations. Tout ça pour quoi ? Aller servir un Dieu quelconque dans son paradis céleste ? Ah ! Quelle joie peut-on espérer du paradis ? La fête, le sexe, les excès en tout genre, tous ces plaisirs auxquels vous vous refusez de votre vivant... En toute logique s'ils sont tellement mauvais on ne peut pas non plus en jouir au Ciel, n'est-ce pas ? Alors il reste quoi ? Une éternité à genoux à chanter des cantiques ? Je vais te dire un truc ma belle... Mieux vaut régner en Enfer que servir au Ciel."

Sa voix prenait de l'ampleur à mesure qu'il parlait, son œil étincelait. Le temps d'une seconde son attention fut attirée par Dussart qui approchait le corps de la tombe que Museau finissait de creuser.

"Mets la tête de côté, on l'emmène !" lâcha-t-il avant de braquer à nouveau son regard sur Marie-Madeleine.

"Renoncer aux plaisirs, aux péchés... c'est contre nature... On est pas faits pour être purs, on a tous une violence en nous, des perversions qui ne demandent qu'à s'assouvir, on jouit autant de la haine que de l'amour. Renoncer à cette part d'ombre c'est renoncer à son humanité. Si c'était si mal pourquoi ton Dieu nous aurait-il créé avec ces penchants ? Ah ! Rien ne m'amuse d'avantage que de voir les parangons de pureté pris en défaut... Les Inquisiteurs qui prennent plaisir à torturer les impies... Les curés qui attirent de jeunes enfants de cœur à l'arrière des baptistères. Les évêques et les papes qui entretiennent en secret maîtresses et bâtards... Les nones qui écartent les cuisses pour les premiers venus, où même qui, à défaut d'hommes, se livrent entre elles à des pratiques délicieusement interdites au fond de leurs cellules une fois les bougies soufflées..."

Il lui adressa un clin d’œil avec son œil unique, ce qui avait un effet particulièrement troublant. Soudain, une idée magnifique sembla éclairer ses pensées. Un immense et mauvais sourire étira ses lèvres. D'un geste leste, il tira sa dague et la brandit sous le visage de la jeune femme. Puis après quelques secondes, il attrapa sa main, y plaça l'arme, et appliqua la pointe sur sa propre gorge, sous sa barbe blonde.

"N'en brûles-tu pas d'envie ma colombe ? Fouille au fond de toi et rassemble toute cette noirceur qui fais de toi une humaine normale, pas cette potiche voilée qui passe ses journées à genoux... Regarde... Il suffirait d'un geste de ton poignet... Et tu sauverais de nombreuses vies, celles de ceux et celles que je n'ai pas encore tués. N'as-tu pas envie de te laisser tenter ? Et si je te disais que j'ai l'intention de vous boucler dans votre chapelle toi et tes soeurs, et d'y foutre le feu ?"

Son regard brûlant d'une fièvre démente et soudaine plongeait au fond de celui de la jeune femme. L'acier aiguisé sur son cou, entaillant légèrement la peau, était délicieusement glacial. Les mains de Marie-Madeleine, dans les siennes, étaient chaudes.
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Requiem nocturne. - Pv Marie-M de Mortemart EmptyMar 28 Juin - 13:14

Marie-Madeleine s’appliqua à fixer les hortensias, leur multitude de tous petits pétales comme de petites fleurs en kaléidoscope, leur couleur rose tirant presque sur le bleu violet par endroit, qu’elle ne pouvait pas voir bien sûr, il faisait trop sombre, mais qu’elle devinait –elle était passée devant cet arbuste tant de fois déjà. Maintenant, elle ne le verrait plus jamais de la même manière, elle en était bien sûre. Elle se surprit à se demander si la présence du macchabée aux racines du massif le vivifierait, le fortifierait, le ferait fleurir avec plus encore d’éclat… Elle aurait préféré que la présence du mort entraîne le dépérissement du massif. Qu’elle n’ait plus jamais à poser son regard dessus, comme elle était en train de le faire.

En périphérie de son champ de vision, les hommes de main du borgne commencèrent à creuser. S’inclinant, se redressant, dans une gestuelle quasi-mécanique qui avait la régularité de l’habitude, ils n’avaient aucun mal à pénétrer la terre gorgée d’eau qu’ils renvoyaient par large pelletées. A ce rythme il ne faudrait pas longtemps avant que la fosse ne soit complètement creusée, mais elle s’empêcha de regarder dans cette direction. Fixer les hortensias, c’était son nouveau commandement, son leitmotiv.

Elle eut un frisson horrifié lorsqu’elle entendit le borgne, qui n’avait pas cessé de jouer avec le chaton, le renommer Clovis. Comment pouvait-on avoir si peu de respect pour une vie, ou pour une mort humaine ? Elle aurait voulu qu’il se taise, qu’il se taise une bonne fois pour toutes. Qu’il finisse de creuser son trou, qu’il y couche Clovis, qu’il le recouvre de terre et qu’il parte. C’aurait été trop simple, bien évidemment. La voix désagréable du borgne retentit de nouveau entre le « floc » caractéristiques des mottes de terre qui s’écrasaient régulièrement au sol pour former deux tas de part et d’autre de la fosse, entre les grognements des travailleurs zélés. Elle manqua mettre sa main contre ses oreilles, pour ne plus avoir à l’entendre, mais elle se retint juste à temps. Qui sait de quoi il aurait été capable ? Mieux valait laisser couler, ignorer.

Malgré tout, elle sentit son sang se glacer dans ses veines au fur et à mesure que l’histoire du borgne avançait. Pourquoi avait-il donc besoin de se remémorer ces souvenirs ici, maintenant ? Qu’en avait-elle à faire ? Ecœurée, elle ne put pourtant s’empêcher de détourner le regard du massif lorsqu’il souleva le pan de sa chemise pour exhiber l’affreuse cicatrice, rose et boursoufflée au haut de sa hanche. Elle ne le prit pas en pitié. Il cherchait peut-être à expliquer, voire même à excuser sa violence, son comportement, mais c’était bien trop facile, elle ne se laisserait pas prendre. Elle détourna le regard, le visage même à nouveau. Les épanchements du borgne la mettaient on ne peut plus mal à l’aise.


Et sursauta brusquement lorsque le borgne se pencha vers elle pour prendre entre ses doigts poisseux de sang une mèche de ses cheveux. Avec un hoquet d’horreur, elle le vit se pencher, encore plus, et la sentir. Elle leva la main pour le frapper, le repousser, ou au moins essayer (parce qu’il était assez peu probable qu’elle arrive à quelque résultat que ce soit) , mais suspendit son geste. Le murmure du borgne, tout près de son visage, la figea. Elle pensait pourtant que le pire était atteint. Grave erreur ! Apparemment, le borgne était bien décidée à franchir une limite de plus dans les paliers déjà atteints, et elle s’en serait volontiers passé. Ce genre de records l’intéressaient assez peu.

A l’allusion sur son entrée au couvent, ou plutôt sur les causes de celle-ci, elle eut à nouveau un mouvement de recul, et même une exclamation de rejet. Mais elle se reprit très vite. De telles accusations ne méritaient pas qu’on s’y attache, ne méritaient pas qu’on y réponde. On le lui avait toujours appris. Les mauvaises langues ne récoltent de crédit qu’auprès de ceux qui les écoutent. Y prêter quelque attention que ce soit, c’était déjà leur marquer du poids. On ne se défend pas devant une accusation tellement fausse qu’elle en devient ridicule, on la laisse passer, et l’on s’en moque. Nul besoin d’en faire plus ! Elle ravala son indignation. A la place elle fixa le borgne avec tout le mépris, toute la morgue, qu’elle pouvait rassembler. L’exercice n’avait rien de facile au vu de la peur qui lui cisaillait le ventre, qui engourdissait son cerveau, ralentissait sa pensée et ses réactions.

-Morts avant l’heure… Vous ne croyez donc pas ? Morts avant l’heure, mais nous vivrons dans l’au-delà, là où votre mort sera le début de vos supplices… Profitez-donc de cette vie tant qu’il en est temps, je ne garantis pas que votre âme puisse être sauvée. Et que sera votre vie de petits plaisirs comparée à votre éternité de souffrance ?

La voix était dure mais se voulait douce, le ton était sec mais les paroles étaient celles qu’elle avait déjà entendues tant et tant de fois. Son discours n’avait rien d’original ni de novateur, en fait on n’aurait presque pu dire que c’était déjà du rabâché, mais réaffirmer ces vieux acquis lui permettait au moins de reprendre un peu de confiance en elle et de maîtrise sur ses émotions. Mais lui ne s’arrêta pas là pour si peu. Horrifiée, elle l’écouta aborder des sujets beaucoup plus crus, une nausée persistante commençant à lui monter aux lèvres.

-Taisez-vous. Taisez-vous !!!

Elle avait crié, furieuse et choquée tout à la fois. Comment osait-il ? La dague devant son visage la calma instantanément, mais il n’avait pas envie de la tuer, pas encore. Elle l’amusait encore, sûrement. La pensée lui tira un sourire amer. Elle était tombée bien bas. Il prit sa main dans la sienne, sa main qui brûlait, comme si elle avait eu de la fièvre, alors qu’intérieurement elle était glacée, glacée jusqu’aux os, glacée au point qu’elle en tremblait presque. Et il posa la lame sur son propre cou. Ses yeux brillaient d’un éclat qui révélait les abysses de sa folie, son sourire s’était encore élargi. Sous la pression de la main du borgne, et pas la sienne, une goutte de sang perla au bout de la dague, et coula le long du cou, vers le col grisâtre de la chemise sale. Les yeux grand ouvert, la respiration courte, Marie-Madeleine le fixait, immobile. Cherchant à déterminer ses intentions. La pression de la main du truand sur la sienne la forçait presque à se tenir sur la pointe des pieds, pour arriver à la hauteur de son visage, et elle se tenait là, essayant de rester stable, de ne pas bouger, surtout pas.

Tremblante de rage, elle avait, presque sans s’en rendre compte, serré le manche de la dague dans sa main. Les yeux plantés dans ceux du borgne, elle serra les mâchoires. Elle ressentait une curieuse sensation, comme si elle venait de boire une liqueur très forte qui, en descendant le long de sa trachée, l’aurait au passage presque brûlée, et un calme profond, comme elle n’en avait pas encore senti depuis le début de la soirée. Avec un temps de retard, elle comprit. Elle avait tout pouvoir sur la vie du borgne. D’un geste, un seul, elle pouvait mettre fin à sa vie. Venger Clovis, cet inconnu ; venger les sœurs et les sauver, supprimer le danger, lui faire payer ses paroles, ses insultes, ses insinuations. Sans aucun doute, le monde se porterait mieux de la disparition de cet homme. Elle ne ferait, en somme, qu’accomplir une mesure de salut public.

Et n’était-ce pas ce qu’il voulait ? Elle sourit fiévreusement. Bien sûr que si… Bien sûr que si. Pourquoi, elle n’aurait pu le déterminer. D’un coup, elle retrouva la peur. La peur des conséquences, d’abord : pour ces quelques instants d’euphorie, de puissance, que gagnerait-elle ? Ensuite, une autre peur, beaucoup plus pragmatique celle-là ; elle n’avait sans doute pas la force de le tuer. Elle contracta tous les muscles de son bras, renforçant encore sa prise sur la dague. Ses phalanges blanchirent dans la main du truand. Avec un cri de rage, elle fit un effort et détourna le poignard qu’elle jeta au sol, comme s’il la brûlait, sans parvenir à arracher son poignet de la main du borgne. Incapable de prononcer le moindre mot, vidée, épuisée par tant d’émotions contradictoires, elle se sentit tout d’un coup écrasée par la fatigue et commença à trembler convulsivement. Elle aurait voulu que ses nerfs tiennent, elle n’en était plus capable. Luttant pour rester debout sur ses jambes, elle cessa de prêter attention à ce qui l’entourait.

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