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 1657- Abbaye aux Dames, ville de Saintes

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1657- Abbaye aux Dames, ville de Saintes - Page 2 EmptySam 4 Mai - 17:05

Au commencement, la porte s'étant refermée, il ne resta plus que le sol sous les pas de l'enfant, et l'air dans lequel il évoluait. La chambre était informe et vide, les ténèbres au-dessus s'étendaient en abîme, et le souffle de la brise nocturne errait sur les eaux du baquet. René ferma les yeux, prit une profonde inspiration, et déclara : "Que la lumière soit !" mais il ne se produisit rien. Il lui fallut méditer de longues heures avant que les roses de l'aube ne fleurissent ; la lumière revenue était une bénédiction pour l'esprit, et la chambre se trouva séparée en un rai de lumière, et deux pans de ténèbres. Il y eut un matin, ce fut le premier jour. Pendant une éternité, il composa des poèmes pour Françoise, en apprenant chaque vers par cœur. La porte s'ouvrit : on posa une écuelle à terre, son repas de la journée, et la porte se referma.

Longuement, il s'amusa à séparer, du bout d'un croûton de pain, les morceaux de légume du bouillon de cette soupe tiède. "Il sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament et les eaux qui sont au-dessus. Et il appela le firmament : Ciel." Mais en levant les yeux, il ne vit rien. Le plafond était vide, et le ciel était très loin, aveugle et sourd. Le ciel était dans les yeux de celle qu'il avait croisée la veille. Etaient-ils fermés dans la prière ? Ou perdus dans la rêverie ? Plongés dans le travail, ou dans le regard d'une autre créature humaine décidée à la séduire ? Cette dernière pensée était une torture, mais pendant plusieurs heures, René ne cessa d'y revenir malgré lui, comme perdu dans un labyrinthe qui reconduit sans cesse sa victime vers le centre.

Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le deuxième jour. René s'ennuyait tellement qu'il rassemblait de petits morceaux de mie, conservés à cet effet, et de petits tas de terre battue, pour se construire des paysages, des personnages et des histoires. Mais il en eut vite assez de la terre. Salissant, friable, plus agaçant qu'utile. Il se lava pour la dernière fois dans son baquet d'eau, qui après cela fut trop sale pour qu'il envisage seulement d'y remettre les pieds. L'hémorragie, heureusement, semblait s'apaiser. Il ne souffrait plus, n'avait plus le vertige lorsqu'il se tenait debout, et il essayait déjà d'effacer de sa mémoire ce terrible épisode ; la perspective qu'il se reproduise lui faisait horreur. Il ne pouvait se défendre, d'ailleurs, de songer que cela signifiait qu'il pourrait enfanter. Mais à quoi bon enfanter, s'il ne pouvait élever son enfant aux côtés de sa chère Françoise ? Il ne serait plus jamais amoureux, d'ailleurs, c'était impossible, même mariée elle continuerait de le hanter. Il joua le mariage avec ses petits bonshommes, puis les écrasa, les mêla au tas de terre, jusqu'à ce qu'ils cessent d'exister.

Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le troisième jour. Ce jour-là, on oublia de lui porter à manger. Il dormit toute la journée, et au réveil il se sentit fébrile, affamé, plein d'une énergie qui ne pouvait s'exprimer, et frustré au plus haut point. Il se colla à la fenêtre et dévora des yeux la voûte céleste qui déployait son manteau étoilé à perte de vue, et à nouveau la cloche l'appela dans le lointain. Non, il ne pouvait pas répondre : quand il sortirait, il retrouverait son amie parmi les sœurs. Peut-être risquerait-elle sa réputation pour venir le voir cette nuit ? Dans ce cas, il ne pouvait pas lui faire faux bond. A l'aube, si elle n'était pas venue, il se glisserait dehors pour voler à manger. Il y eut un soir, une très longue nuit blanche et solitaire, et il y eut un matin... et ce n'était que le quatrième jour. René, n'y tenant plus, se glissa hors de la fenêtre, disloquant souplement ses articulations déliées, se pendit au rebord par les mains, et se laissa tomber dans la brume grise de l'aube. Il roula dans un fossé d'épineux, rit de se voir tout sanglant, imagina montrer tout à l'heure à la sœur qui le nourrissait les stigmates du Christ, puis alla tranquillement piller le cellier désert.

Ce jour-là, il l'occupa à manger, tapi dans sa caverne, prenant des forces pour quelque grande entreprise, sans trop savoir laquelle. Poissons, canards, toutes viandes maigres, cela faisait un plaisant ordinaire, mais cependant l'absence de contacts humains commençait à lui peser. Lorsque la sœur revint le nourrir, d'un maigre bouillon qui ferait passer le restant, il s'autorisa un murmure : "Mademoiselle Françoise...?" Fort mécontente de le voir déjà rompre ses voeux de silence, cette éphémère interlocutrice répliqua d'un brutal : "Partie !" et claqua la porte. Il y eut un soir... René sécha ses larmes, jeta sa couverture par la fenêtre, la rejoignit, s'en couvrit comme d'une cape, fit un nouveau passage par le cellier, puis alla rejoindre le bon cheval aux écuries, et le sortit silencieusement de l'enceinte, avant de prendre la route de la forêt. Toute la nuit, il le fit courir sans oser s'arrêter, le cœur lourd, certain que ce monde ne lui voulait que mal, et que s'il faisait halte, les loups le mangeraient. Il y eut un matin, et ce fut le sixième jour.

Chaparder dans les réserves des personnes qui, de toute façon, lui offraient le gîte et le couvert, c'était une chose. Voler des objets de valeur et d'intérêt quotidien, chez de pauvres inconnus qui ne lui devaient rien du tout, c'en était une autre. Plus jeune, le petit René avait joué à décrocher ici un bonnet, là un jupon, dans les villages voisins, pour se déguiser ; à présent il avait pris de l'âge et de la raison, il savait que ces tissus alléchants qui se balançaient aux recoins des fenêtres, à la première ferme qu'il rencontra sur sa route, manqueraient à quelqu'un. Mais il ne pouvait se promener en nonne. Pour apaiser sa conscience, il laissa donc ses robes en lieu et place de ce qu'il avait dérobé. A présent décemment vêtu, selon son opinion du moins, il regagna les bois où il avait laissé son cheval, se coucha auprès de lui, et s'accorda un repos bien mérité. Ses réserves ne dureraient pas longtemps, mais il avait posé des collets alentour. Le septième jour, René revint à la nature, et y dormit du sommeil du juste, certain que tôt ou tard, son errance le conduirait au château de sa belle Françoise.

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[HJ : Je crois le moment venu de regagner le temps présent. ^^]
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