La nuit tombait et marquait le début des consultations. Celle que l’on surnommait la sorcière dans Paris avait revêtu sa robe bleu nuit pour l’occasion, toute de velours et qui faisait ressortir le teint diaphane de sa peau blanche. Très fière de sa robe, elle contempla l’ensemble de sa tenue dans la glace de sa chambre et vérifia les derniers détails avant de descendre, comme l’arrangement de ses boucles ramenées sur le côté pour mieux dévoiler son long cou et si le bijou – appelé tâtez-y – sur son décolleté était bien accroché.
Lors des visites nocturnes, Catherine sortait ses plus belles tenues afin d’impressionner sa clientèle. Elle n’hésitait pas à mettre des bijoux plus ou moins clinquants si elle recevait des hommes, leur en mettant plein la vue. Tout avait été minutieusement pensé.
Contrairement aux idées reçues, la Voisin n’incarnait pas la sorcière démoniaque en puissance que les gens s’imaginaient, n’ayant pas la physionomie adaptée, puisqu’elle ne se montrait jamais avec une robe déchirée de toute part, en loques. Cela aurait été repoussant et personne de la noble Cour ne serait venu la voir en consultation.
Elle descendit les marches de l’escalier pas à pas et rejoignit la porte de son cabinet. Elle fut arrêtée par la Vigoureux qui lui annonça le premier visiteur, une visiteuse précisa-t-elle car ce fut une marquise qui s’était présentée à la porte de sa demeure. La porte de derrière d’ailleurs, là où les clients descendaient d’un coche et entraient chez la devineresse pour une visite. D’un franc signe de tête, elle ordonna la Vigoureux de se préparer à l’entrée de cette marquise et avant de pénétrer dans son cabinet, l’entendit descendre l’escalier branlant, un piètre chandelier de fer à la main. Rapidement, elle appela une domestique et lui consigna l’ordre d’éteindre tous les bougies pendant que la Vigoureux partait ouvrir à la visiteuse.
Catherine retrouva avec joie son cabinet. Elle était ravie de pouvoir de nouveau troubler l’esprit des gens qui viendraient la consulter ce soir et de leur insuffler de la crainte dès le premier pas posé chez elle. Sous l’effet de la peur, les gens se montraient vulnérables et étaient alors plus faciles à manipuler pour la sorcière.
Exprès, celle-ci et la Vigoureux avaient aménagé la vieille bâtisse de façon à faire entrer les visiteurs désirant de s’entretenir avec la Voisin dans un univers ésotérique, presque mystique. Le couloir au rez-de-chaussée fut resté en l’état, tout sombre, humide et non éclairé. À l’étage, on avait installé des tentures noires sur lesquelles étaient tracés des signes cabalistiques et dans un coin, une statue imposante du démon Belzébuth. Contrairement aux premières pièces qui étaient montrées aux visiteurs, le cabinet n’avait rien à envier avec ces dernières. En effet, d’aspect plus plaisant, il était beaucoup plus décoré que les deux pièces en entrant.
Des toiles colorées étaient tendues du mur au plafond et au sol, un tapis persan s'étendait dans toute la pièce, où au milieu se dressait une table et derrière celle-ci, un fauteuil égyptien. Destiné à la consultation des esprits, le cabinet n'était néanmoins pas surchargé, quelques meubles étroits occupaient les pans des murs de la salle. Cependant, on avait installé près de la table d'un bois rutilant un petit four où brûlait des herbes aromatiques embaumant l'air et en face du fauteuil antique un jeu de miroirs accroché au mur.
Quand Hortense, la domestique, eut terminé sa rapide besogne, elle rejoignit sa maîtresse dans le cabinet. Catherine la renvoya dans une autre pièce et prit place dans son fauteuil égyptien, attendant patiemment sa visiteuse. Au bout d’une minute, elle entendit ses pas et ceux de sa comparse grimper les marches grinçantes de l’escalier. Elle attendit encore et le mur où se trouvait le jeu de miroirs pivota soudain, laissant apparaître la silhouette menue de la Vigoureux. Celle-ci le referma soigneusement derrière elle et donna l'identité de la visiteuse à la Voisin. Il s'agirait de la marquise de Montespan.
Le cœur de Catherine fit un bond dans sa poitrine. Françoise-Athénaïs de Rouchechouart de Mortemart, marquise de Montespan ici ? D'un bond, elle se leva de son siège, fit le tour de la table et s'approcha de Marie Vigoureux, qui craignait sans doute cette réaction. La devineresse tourna autour de son amie, l'interrogeant sur les raisons de la venue de la marquise chez elle. Elle expliqua que la marquise n'avait pipé mot lorsqu'elle lui avait ouvert et conduit jusqu'au palier du premier étage, où elle l'avait abandonnée pour ensuite rejoindre sa complice dans son cabinet.
La Voisin connaissait la marquise, elle était déjà venue de nombreuses fois dans sa boutique d'apparat, commandant des lotions de beauté et parfois des onguents. Elle avait même sollicité ses savoirs en médecine pour connaître la meilleure plante qui lui permettrait de soigner sa fille. Catherine, en gentille commerçante, l'avait immédiatement rassurée à ce sujet, lui disant qu'elle lui préparerait un breuvage pour sa fille malade. Elle était revenue quelques jours plus tard pour lui partager la bonne nouvelle, sa fille était guérie et parfaitement remise. Grâce à elle. Du coup, comment la marquise réagirait-elle en découvrant le visage de celle dont les pouvoirs magiques retentissaient dans tout Paris et que l'on appelait la sorcière ?
Après la visite de la marquise, Catherine enverrait à coup sûr ses espions en mission. Elle leur demanderait d'enquêter sur les raisons possibles qui auraient poussé la marquise à effectuer une visite chez elle. Elle discuta encore avec la Vigoureux et lui dit d'envoyer Hortense, chargée de faire entrer les nobles visiteurs dans le cabinet de la Voisin. Mais dans cinq minutes exactement.
La Vigoureux hocha la tête et partit prévenir la domestique. Cinq minutes, c'était le temps imparti qu'on laissait aux visiteurs qui attendaient sur le palier, dans le noir complet. Le but de cette mascarade était de les laisser un peu mijoter dans leur jus, afin de les affaiblir car l'attente alimentait l'anxiété et donc la peur. Catherine se réinstalla dans son fauteuil et attendit sagement, le regard porté sur les flammes du poêle embrasant ses iris.
Cinq minutes plus tard, elle entendit un bruit de poignée et la marquise fit son entrée, accompagnée d'Hortense qui portait un candélabre plus luxueux, en argent. Celle-ci disparut par une porte, laissant sa maîtresse seule avec la marquise. Avec un sourire, elle l'accueillit comme il se doit, à une dame de son rang.
▬ Madame la marquise, bienvenue et prenez place, fit la Voisin, tendant sa main vers le fauteuil inoccupé. Quelle est la raison de votre venue ?
C'était clair, concis et bref. Les mêmes formules qu'elle employait à chaque début de séance. La Voisin aimait se montrer professionnelle et le faisait sans détour. Qu'allait penser la marquise ? Ses pensées lui importaient peu.