La partie de cartes avait été des plus amusantes, mais il était temps de prendre les derniers bols d'air avant de se coucher. Olympe sentait les hortensias, ses yeux clos et son sourire témoignaient du bonheur qu'elle ressentait alors. A ses cotés, Louis Victor de Mortemart se tenait et derrière eux le domestique du salon des jeux les avait suivi avec trois bouteilles de champagne. Comme prévu, les courtisans avaient déserté les jardins à la disparition du soleil. La lune ce soir était pleine, les jardins lumineux permettaient une sortie nocturne des plus plaisantes.
-Ces fleurs ont bercé mon enfance, je crois que je ne pourrais souffrir de vivre dans un endroit qui n'en possède pas.
De sa main blanche, elle caressa les délicates pétale avant de se relever. La chaleur s'était en partie envolée et avait fait place à une légère brise, l'air était alors facilement respirable.
Délicatement, elle reprit le bras de son "duc servant" et fit quelque pas avec lui, regardant d'un œil amusé le domestique qui inlassablement les suivait. Celui-là ne serait pas peu fier de sa soirée...
-Allons faire quelques pas, dans les labyrinthes si toutefois vous ne craignez pas de vous y perdre monsieur le duc. De jour, je les trouve d'un ennui mortel, peut-être que je les connais trop d'après tout... Mais de nuit ils me sembleront une aventure nouvelle.
La Reine, quand elle daignait sortir, empruntait toujours le même chemin et bien que la Mancini apprécie d'être dans son sillage elle devait bien admettre que faire des ronds sans logique l'ennuyait. Pourquoi donc s'infliger des limites et ne pas courir en riant la nuit dans les jardins ? Pourquoi donc rester toujours sage et bien mise ? Quel intérêt d'être riche, de vivre à la cour et dans le luxe si c'est pour s'enfermer dans les appartements de l'ennui ? L'italienne savait la chance qu'elle avait, elle comptait bien en profiter... Bien qu'elle sache où se trouvaient ses limites.
-Allons, monsieur de Vivonne... Que préférez-vous ? Un carré d'herbe à l'est, le kiosque au centre, un des bancs du bord ou la roseraie du fond ? Ce labyrinthe abrite plusieurs merveilles, je vous laisse libre choix pour que l'on s'installe et que l'on boive ce champagne...
Les yeux clairs de la comtesse se tournèrent vers le domestique, amusés.
-Tous les trois.
La sentence était tombée. L'homme ne venait donc pas ni chaperonner, ni porter les bouteilles...Il avait juste été embrigadé par la diablesse rousse. Il y avait toujours des risques quand il s'agissait de suivre la Mancini, que l'on soit noble, garde, domestique ou simple roturier. Elle avait des surprises et assez d'imagination pour tous, le domestique d'ailleurs baissa la tête et rougit violemment. Il ne faisait aucun doute qu'il se trouvait embarrassé, mais se voyait obligé d'accepter l'invitation qui ressemblait davantage à un ordre.
"Bien, madame."
La Mancini haussa l'une de ses épaules blanches, moqueuse:
-Nous ne prévoyons que la boisson pour finir cette journée étouffante, rien d'autre. Ne piquez donc pas ce fard que je ne saurais plus voir.
Le domestique rougit davantage et ne répondit pas, tenant toujours ses bouteilles d'un air désolé. Jugeant qu'elle l'avait assez perturbé -du moins pour le moment- Olympe retourna ses anglaises rousses vers le duc.
-Votre choix est donc fait ?